Extrait :
Neuilly-sur-Seine.
20 janvier, neuf heures du soir.
Une petite goutte de sang d'un rouge intense tomba sur le coin de son assiette. En frappant la porcelaine, elle dessina un minuscule soleil rouge, hypnotique.
Madeleine Reich ne comprit pas tout de suite ce qui se produisait. Elle dînait avec son mari Jonathan, à la grande table du salon, comme ils en avaient l'habitude tous les jours à vingt et une heures précises. Âgés de cinquante ans chacun, les Reich tenaient à leurs rituels quotidiens, dans tous les domaines - vraiment tous les domaines. Ce soir comme tous les soirs, Jonathan s'était chargé de commander le repas chez leur traiteur japonais préféré pendant qu'elle, comme toujours, s'occupait de mettre la table. Cela pouvait sembler tout bête, mais c'était le genre de détail qui revêtait pour elle une importance capitale. Elle avait choisi une belle nappe blanche brodée, et le service Empire en porcelaine de Limoges. Depuis qu'elle avait créé sa société et connu la fortune - et cela faisait déjà quinze ans -, Madeleine ne dînait plus que dans de la vaisselle hors de prix, et se servait uniquement de verres en cristal de luxe. Encore aujourd'hui, elle continuait de savourer ce plaisir, presque puéril, de faire partie des privilégiés. Des nantis. Elle savait que, si ses parents avaient encore été de ce monde, ils auraient été extraordinairement fiers d'elle.
La réussite avait pourtant ses tributs. La longue journée qui venait de s'écouler avait été éprouvante, le travail au bureau problématique, Madeleine se sentait lessivée. Elle avait hâte de manger. Ensuite, elle pourrait aller se reposer devant une série TV en vidéo à la demande, et profiter d'une bonne nuit de sommeil. Demain, dès l'aube, tout recommencerait, elle reprendrait la lutte contre les fauves des multinationales qui, eux, semblaient ne jamais se reposer. Mais ce serait demain. Inutile d'y penser maintenant. Elle savoura sa soupe à petites cuillerées, puis elle s'empara de sa bouteille d'Asahi - Jonathan en avait commandé une pour chacun - et remplit son verre à ras bord. La bière était fraîche comme elle l'appréciait. Devant elle, sur le grand plateau, se trouvait l'assortiment coloré de sushis et de makis, dans leur éternel ordre rassurant. Sur un second plateau étaient disposés des sashimis, à côté d'une délicate rose de gingembre frais. Du bout de ses baguettes, Madeleine piocha un california roll appétissant. Elle n'avait plus qu'à l'amener jusqu'au petit bol de sauce au soja et...
La vision de la goutte de sang avait interrompu son geste.
Surprise, Madeleine se pencha sur la tache rouge qui maculait son assiette.
Une deuxième goutte de sang, plus ronde et plus grosse que la première, tomba devant elle. Elle éclata sur le dessus de sa main, sinistre présage.
Est-ce que je saigne du nez ?
Elle déposa le california roll au centre de son assiette, replaça soigneusement les baguettes sur leur socle, puis s'essuya la main avec sa serviette. Elle porta des doigts hésitants à ses narines, les palpa, mais non, le saignement ne venait pas de là. Son nez était parfaitement sec.
- Chérie ? murmura Jonathan, qui venait de lever les yeux, de l'autre côté de la table. Oh, mon Dieu...
Un mot de l'auteur :
Né en 1974, figure de proue d'une nouvelle génération d'auteurs français de thrillers, Sire Cédric construit pas à pas une œuvre originale, mariant fantastique et intrigue policière, avec un sens du rythme et une écriture redoutablement efficace. Il a reçu le Prix Masterton pour son roman L'Enfant des cimetières, et le Prix Polar du festival de Cognac ainsi que le Prix CinéCinéma Frisson pour De fièvre et de sang. Son dernier roman, Le Premier Sang, (Le Pré aux Clercs, 2012) met à nouveau en scène le personnage d'Eva, la policière albinos et coéquipière du commandant Vauvert. Angemort vient de paraître au Pré aux Clercs. Sire Cédric vit et écrit à Toulouse. Retrouvez l'actualité de l'auteur sur www.sire-cedric.com
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