Extrait :
Noël, 20-
Ce matin-là, elle se réveilla tard et aussitôt elle sut : Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux.
C'était dans un rêve, pensa Holly, que cette bribe d'information lui avait été suggérée, tel un aperçu d'une vérité qu'elle avait portée en elle pendant - combien de temps au juste ?
Treize ans ?
Treize ans !
Elle avait su cela pendant treize ans, et en même temps elle l'avait ignoré - c'est du moins ce qu'il lui semblait, dans son état de demi-veille, en ce matin de Noël. Elle se leva du lit et s'engagea dans le couloir en direction de la chambre de sa fille, pressée de voir qu'elle était là, encore endormie, parfaitement en sécurité.
Oui, elle était là, Tatiana, un bras blanc passé sur un couvre-lit pâle. Les cheveux bruns répandus sur l'oreiller. Si immobile qu'on aurait dit une peinture. Si paisible qu'on aurait pu la croire...
Mais ce n'était pas le cas. Elle allait bien. Rassurée, Holly retourna dans sa chambre et se glissa de nouveau dans le lit près de son époux - mais, à peine allongée, elle pensa encore une fois :
Cela les avait suivis jusque chez eux !
C'était quelque chose que Holly avait su, apparemment, au plus profond de son coeur, ou de son inconscient ou quel que soit l'endroit où ce genre d'information se terre à l'intérieur d'une femme, à son insu, pendant des années, jusqu'à ce qu'un événement lui fasse prendre conscience qu'elle a oublié, ou refoulé, ou...
Ou bien était-ce une chose qu'elle avait volontairement ignorée ? À présent, elle s'en apercevait :
Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusque chez eux !
Mais quoi ?
Et Holly pensa alors : Je dois l'écrire avant que cela ne m'échappe. Elle avait déjà ressenti ça plus jeune - l'envie presque paniquée d'écrire à propos d'une chose qu'elle avait entraperçue, de la fixer sur la page avant qu'elle ne file à nouveau. Certaines fois, il avait failli lui soulever le coeur, ce désir d'arracher d'un coup sec cette chose d'elle et de la transposer en mots avant qu'elle ne se dissimule derrière un organe au plus profond de son corps - un organe un peu bordeaux qui ressemblerait à un foie ou à des ouïes et qu'elle devrait extirper par l'arrière, comme si elle le sortait du bout des doigts d'une carcasse de dinde, si jamais elle voulait l'atteindre une nouvelle fois. Voilà ce que Holly avait ressenti chaque fois qu'elle écrivait un poème, et pourquoi elle avait cessé d'en écrire.
Mon Dieu, cette pensée était pourtant comme un poème - un secret, une vérité, juste hors de portée.
Revue de presse :
Fantôme, folie, fantasme sont présents. La clé finale est saisissante. Le roman peut ainsi se lire à différents niveaux. Une réflexion sur le poids du passé, un suspense impeccable et implacable, un jeu cruel de temporalité, une méditation sur l'écriture. La romancière semble nous dire que c'est toujours avec des bouts de soi camouflés que l'on écrit sur la vie des autres. [...] Esprit d'hiver se termine sur une porte refermée en silence faisant écho à une autre porte refermée dans le silence. On n'a rien vu, on n'a rien entendu. Le poison de l'oubli commence son uvre destructrice. --Marie-Laure Delorme, Le journal du dimanche
L'auteur des Revenants a tiré un roman de guerre familiale, aussi violent lorsqu'elle explore les zones interdites de l'orphelinat n°2,où des bandes d'enfants sauvages guettent l'arrivée des familles américaines pour les détrousser, que lorsqu'elle décrit les accès de colère de Tatiana, l'adolescente révoltée à la peau bleue et aux eux immenses. [...] Ca catche dans le nouveau roman maniaco-dépressif de Laura Kasischke, une sonate d'hiver bergmanienne pour violoncelle et âmes blessées --Didier Jacob, Le Nouvel Observateur
Une mère et sa fille adolescente coincées chez elles le jour de Noël. Une trame minimaliste, presque douce, point de départ d'un thriller mental asphyxiant, peut-être le roman le plus inquiétant écrit ces dernières années. [...] Le halo de mystère dans lequel la romancière sculpte cet aveuglement relève du pur génie littéraire : trame amarrée à l'inconscient, peuplée de mythes déchus et de spectres enfantins, qui a le chic pour transformer en cauchemar le décor du quotidien. Kasischke cultive depuis toujours les forces les plus obscures de la fiction. [...] Elle en fait le socle d'une uvres envoûtante, aux mille sortilèges, baignée d'inquiétante étrangeté, qui ne cesse, de livre en livre, de se renouveler. --Emily Barnett, Les Inrockuptibles
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