Extrait :
Extrait de la préface de Jacques Lajarrige :
L'AUTOMNE 1997, six mois avant sa mort, Gregor von Rezzori livra au public la pièce maîtresse de son oeuvre qu'il lui avait jusqu'alors obstinément refusée. Publiée sous le titre Sur mes traces (Mir auf der Spur), l'autobiographie venait in extremis compléter les récits qu'il avait consacrés en 1989 à son univers familial sous forme de portraits juxtaposés. Neiges d'antan (Blumen im Schnee), l'un des textes les plus réussis et les plus justes de Rezzori, affichait malgré tout encore sa méfiance à l'égard d'un genre où la pure confession l'emporterait sur l'inventivité : «Études de portraits pour une autobiographie que je n écrirai jamais, également : essai narratif en vue d'un roman de formation jamais d'évasion dans l'imaginaire et un solide ancrage dans la réalité, un entre-deux à mi-chemin de l'écriture de soi et de la fiction de soi. Murmures d'un vieillard (Greisengemurmel), pièce intermédiaire de cette autobiographie inavouée en forme de triptyque, prouvait à sa façon aussi que l'exercice récuse a priori toute autocomplaisance et ne fait revivre le passé qu'avec l'objectif affiché de rendre des comptes. C'est dans un monde finissant, aux marges de la monarchie des Habsbourg, que Rezzori vint au monde le 13 mai 1914, dans la voiture à chevaux qui conduisait sa mère à Czernowitz, capitale d'une Bucovine qui ne tardera pas à être rattachée à la Roumanie d'abord, puis intégrée à l'Union soviétique après 1945. Cette naissance légendaire dans un lieu de transition déterminera au fond le mouvement général de son existence longtemps vagabonde. Citoyen roumain de 1919 à 1945 - ce qui lui valut de n'être réquisitionné sous aucun uniforme pour participer à la Seconde Guerre mondiale -Rezzori passera ses années de jeunesse et de formation ballotté entre Czernowitz, Bucarest, Vienne, Kronstadt, Leoben, Berlin, avant de travailler pour la radio allemande dans l'immédiat après-guerre et de trouver tardivement un port d'attache en Toscane à partir de 1960. Longtemps apatride, ce n'est qu'en 1984, et à sa demande expresse, qu'il recouvrera la
citoyenneté autrichienne grâce au chancelier social-démocrate de l'époque, Bruno Kreisky. Clin d'oeil de la petite histoire à la grande Histoire.
Présentation de l'éditeur :
Pour la première fois, avec Sur mes traces, Gregor von Rezzori livre ses Mémoires complets. Richesse d'une écriture, d'un caractère et d'un destin la vie de Rezzori coïncide presque parfaitement avec le XXe siècle. Né citoyen austro-hongrois en 1914 à Czernowitz en Bucovine (cet entredeux politique, entre la Mitteleuropa et les Balkans, où est aussi né Celan et qui va être ensuite divisé entre la Roumanie et l'Union soviétique), ayant grandi dans une famille disloquée dont la brisure devient métaphore, il a été longtemps apatride avant de devenir citoyen autrichien, alors même qu'il avait déjà fait de l'Italie sa terre d'élection. Traversant les pays et les cultures, Rezzori reflète dans le prisme d'une ironie rebelle les événements qui le transportent successivement à Vienne, Bucarest, Berlin, Hambourg puis dans ce coin de Toscane où il est mort en 1998. Comme Zweig et Musil, le regard qu'il porte sur l'Europe dont il a vécu tous les grands bouleversements le hausse au rang de témoin de notre siècle. Souvent propulsé dans les situations les plus invraisemblables, il fait son miel de toutes les circonstances, transfigurant par son talent d'écrivain une vie marquée par l'exil et la perte d'identité. Car Rezzori est un conteur aventureux qui tisse les fils épars de son existence sur la trame de l'histoire, donnant ainsi aux désordres politiques une touche familière et tragicomique qui fait comprendre, mieux que toutes les analyses, les ambivalences d'un siècle qui n'a pas fini de nous hanter. Et si le réel parfois se dérobe, c'est pour mieux ressurgir, chatoyant, fascinant. Sur mes traces est l'odyssée sans retour d'une vie pourtant magnifiquement accomplie
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