Extrait :
APPRENTISSAGE
Quand Patrice Chéreau signe en 1964 sa première mise en scène, il a.tout juste dix-neuf ans. Depuis, il a monté trente et un spectacles de théâtre, douze opéras, réalisé dix films - pour lesquels il a participé aux scénarios, parfois aux dialogues - dont celui tiré du Temps et la chambre, la pièce de Botho Strauss qu'il avait mise en scène à l'Odéon-Théâtre de l'Europe. Sans oublier pour ses débuts à la caméra et pour le petit écran : Le Compagnon, commande de Jean Frappât, producteur de la série Réalité-fiction, deux ou trois spots publicitaires ou humanitaires. Et, plus tard, sa participation aux documentaires tournés par son collaborateur Stéphane Metge, à partir de Phèdre, ou Dans la solitude des champs de coton et Cosi fan tutte, ainsi que son travail avec les élèves du Conservatoire sur Shakespeare... Il est de temps en temps acteur pour lui-même sur scène, rarement, ou pour quelques cinéastes (Andrzej Wajda, Youssef Chahine, Michael Haneke...) ; il lui arrive de lire seul sur scène des textes de Dostoïevski, et plus récemment avec Philippe Calvario, d'Hervé Guibert...
«Dans la salle de travail, plus qu'un bureau à cause de ses dimensions, sur les planches de bois soutenues par des tréteaux, sont entassés des livres, des manuscrits, des albums de photos. Une table pour le théâtre, une table pour le cinéma, une table pour l'opéra ; et il passe de l'une a l'autre, parfois à l'intérieur d'une même journée.»
Ainsi Hervé Guibert décrit-il l'homme en son domicile parisien (Le Monde, supplément Rhône-Alpes, 1983).
Le plus étonnant n'est pas tant cette boulimie de travail, mais plutôt le fait que rien, absolument rien dans tout ce qu'a réalisé Patrice Chéreau n'est jamais passé inaperçu. Pas même son premier essai, L'Intervention, de Victor Hugo, en 1964, avec le groupe théâtral du lycée Louis-le-Grand, en activité depuis 1947 sans s'être jusqu'alors fait remarquer. Son fondateur, Jean Lescale, derrière son physique de professeur effacé, se révèle un homme énergique, audacieux. Il sait comprendre les fortes personnalités, et les aider. Un «délicieux malicieux», selon Jean-Pierre Vincent, à peine dix-sept ans et déjà présent quand, en 1959, apparaît Patrice Chéreau, d'abord en tant que figurant.
Patrice Chéreau 1 : Le groupe théâtral du lycée, dans ces années-là, c'était pour moi la soif d'apprendre, de me forger parallèlement au lycée ma propre culture. Faire tous les métiers : figurant la première année, dire une ligne de texte la deuxième, plus rien ensuite parce que j'étais trop mauvais, régler les duels parce que j'étais le seul à avoir fait de l'escrime, monter les projecteurs, régler les lumières, emprunter au cours de physique de vieux rhéostats en cuivre pour les faire varier, regarder tous ces gens qui avaient une vraie tradition ancienne de travail bien fait, et qui venait de loin, d'Alain Carel, que je n'ai pas connu, à Pierre Voltz qui aura été le premier à me diriger et que je voyais monter et coller lui-même ses bandes magnétiques pour la musique de Clitandre (les concertos pour cor de Mozart qu'aujourd'hui encore je ne peux pas réécouter sans y penser...), et M. Lescale, spectateur toujours attentif de tout ce qui s'y faisait. Et Jean-Pierre Vincent qui est déjà là avant moi, et Hélène Vincent qui va rencontrer Jean-Pierre dans le groupe, François Dunoyer et Jérôme Deschamps qui viennent auditionner et vont jouer dans nos premiers spectacles. Pascal Ortega, enfin, avec qui j'étais en classe et qui sera mon administrateur à Sartrouville, puis mon assistant à partir de 1972 après avoir été celui de Bob Wilson dans Le Regard du sourd. Et puis un personnage étrange, fidèle et chaleureux, grand échalas moqueur, si déstabilisateur pour des gamins de quinze ans : Jacques Schmidt qui est là depuis des années, narquois, toujours prêt à la plaisanterie et fidèle, et qui, même devenu professionnel, continue à faire les costumes des spectacles du lycée. Ce sera mon premier et presque exclusif costumier jusqu'en 1988.
Présentation de l'éditeur :
Préface de Olivier Schmitt
Postface de Richard Peduzzi
Chéreau : un garçon qui, encore adolescent, se passionne pour le théâtre, et déjà impose une manière, sa manière de le comprendre, de le construire, de le voir.
Théâtre, opéra, cinéma, il va partout, et partout où il va, il règne.
Rien de ce que fait Chéreau ne passe inaperçu, depuis les temps des groupes universitaires, jusqu'à aujourd'hui, en passant par une expérience de théâtre populaire à Sartrouville juste avant de monter trois spectacles en deux ans au Piccolo Teatro de Milan. Puis de revenir en France comme codirecteur, avec Roger Planchon et Robert Gilbert, du TNP de Villeurbanne qui vient tout juste de naître, tout en bouleversant Bayreuth, royaume de Wagner, avec sa vision du Ring, tout en imposant au cinéma sa vision des hommes et de leurs passions.
Puis de rassembler aux Amandiers de Nanterre tous les «éléments» humains et artistiques d'une vraie «maison du théâtre». Puis de continuer ailleurs, en France comme en Europe et dans le monde, sur les scènes dramatiques et lyriques comme sur les écrans, à déchirer les habitudes...
Chéreau : le trajet, tel qu'il a été reçu, avec les peines et les honneurs, d'un artiste exceptionnel.
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