Présentation de l'éditeur :
À Caïn, chacun associe le premier meurtre commis au seuil de la Bible et la condamnation à l'errance qui vient châtier ce geste fratricide. Mais on ignore souvent que le criminel est aussi le fondateur de la civilisation, le père de la ville, des arts et des techniques.
Sobre, elliptique et ambigu, le chapitre IV de la Genèse est inducteur d'interrogations et de rêveries : pourquoi Dieu agrée-t-il le sacrifice offert par Abel alors qu'il rejette celui de Caïn ? Pour quelle (s) raison (s) l'aîné des deux frères tue-t-il son cadet ? Quelle est la nature du signe que la divinité appose sur Caïn ? Pourquoi la civilisation procède-t-elle d'un fratricide ? Du Moyen Âge à nos jours, les réécritures littéraires s'emparent donc de manière fructueuse des questions existentielles que pose le mythe de Caïn : la préférence arbitraire, l'envie, la nécessité de différenciation, la culpabilité innocente, le lien entre mort et civilisation.
Méditant sur la part nocturne mais féconde du moi, la littérature dissèque les rivalités, sonde les responsabilités, en appelle à la responsabilisation comme gage d'une véritable fraternité et d'une création authentique.
Agrégée de lettres modernes, Véronique Léonard-Roques est maître de conférences en littérature comparée à l'université Clermont-Ferrand IL Elle consacre ses recherches aux mythes et à leurs réécritures.
Extrait :
AUTOUR DU FRATRICIDE. DES DICHOTOMIES RÉVERSIBLES
Par son système d'antinomies rapportées aux figures de Caïn et d'Abel, le mythe favorise les lectures interprétatives où la confrontation des deux frères bibliques est celle de principes universels, de voies opposées ou complémentaires qui s'offrent à l'être humain.
Philon d'Alexandrie ou saint Augustin ont vu dans Genèse IV la peinture symbolique d'un conflit intérieur entre bien et mal ainsi qu'une allégorie du cheminement de l'âme.
La littérature peut faire du mythe une matrice historique générale. Ainsi Victor Hugo écrit-il :
Caïn, Abel, vos races sont... dans le monde les justes, les héros
Esclaves et tyrans, victimes et bourreaux, Abel dit Providence ! et toi Fatalité !
Sans multiplier les exemples, on note que dans la pièce En attendant Godot, bourreau et victime répondent indifféremment aux noms d'Abel et de Caïn. «C'est toute l'humanité», glose Samuel Beckett comme en écho à la considération de Léon Bloy selon laquelle «la rivalité d'Abel et de Caïn est le fond même de l'histoire humaine».
A ce conflit dont les causes ne sont pas explicitées dans le récit biblique, l'exégèse juive trouve deux principales motivations que les réécritures littéraires ne cesseront ensuite d'explorer : une lutte pour le partage du monde ou un affrontement d'ordre affectif.
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