Le T�tard - Couverture souple

Lanzmann, Jacques

3,81

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Couverture souple

ISBN 10 : 2268062015 ISBN 13 : 9782268062013

Editeur : Editions du Rocher, 2007

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�Je ne veux pas mourir sans avoir fait l'amour et la R�sistance� : voil� ce qui obs�de le jeune Jacques au moment o� la Seconde Guerre mondiale �clate. Tandis que son fr�re a�n� et son p�re s'enr�lent dans les maquis communistes, l'adolescent se d�bat entre un pass� douloureux, un pr�sent d�cevant et un futur incertain. Lui, le petit juif, �le rouquin� veut sa part de bonheur...Dans ce texte, Jacques Lanzmann redevient l'enfant qu'il fut, le Jacquiot, le domestique de ferme, lou�, �loign� des siens... s'il ne cache pas les multiples raisons de ses souffrances, il n'en tire aucune gloire particuli�re; au contraire, tout au long de ce r�cit picaresque, le narrateur trouve en lui le moyen de marquer ses p�rip�ties du sceau de l'�nergie vitale.

Les informations fournies dans la section � Synopsis � peuvent faire r�f�rence � une autre �dition de ce titre.

Extrait :

J'avais quinze ans et je ne voulais pas mourir sans avoir fait l'amour et la R�sistance, mais c'�tait bien plus facile de tuer un soldat allemand qu'une obses�sion sexuelle.
Il y avait soixante camions et je ne sais combien de bagnoles � gazog�ne pleins � ras bord de gars et de mat�riel. Les camions �taient poussifs, mais les poitrines cognaient si fort et les gorges sous les drapeaux chantaient tellement que les moteurs semblaient marcher � l'enthousiasme.
En traversant Vieille-Brioude r�veill�e par l'�v�ne�ment, j'ai aper�u les grands-parents qui se tenaient sur le pas de la porte. Anna et L�on, n�s l'un en Lettonie, l'autre en Bi�lorussie, applaudissaient en Auvergnats cette longue colonne de maquisards motoris�s qui transportaient leurs fils et leurs petits-fils, sang pogromis� et chair de victime, vers l'ultime �tape de la francisation.
Moi, je m'�tais toujours senti plus fran�ais que juif, mais aussi bien plus rouquin que fran�ais et juif. J'�tais un rouquin-fran�ais-juif de parents divorc�s-citadins transplant�-analphab�te-et-paysan ; un vrai poil de carotte sans vraie famille, mais avec des fami�liers. Et, parmi les plus familiers, il y avait mon fr�re Claude, ma soeur Evelyne, le Ren� et le P�re Tavernier, la M�re Yvonne, le gars B�bette et la soeur de Ren� Raymond. Dans le temps, il y avait eu ma m�re : dans le pr�sent, il y avait mon p�re. Mais, comme ils �taient s�par�s par les sentiments et l'Occupation, �a ne faisait pas une famille.
� Groutel, j'avais souffert de mes cheveux rouges, j'�tais un d�pigment�, un poil de brique, un maudit petit rouquin qui avait pris le soleil � travers une passoire. � Melun, j'eus � faire face � ceux qui me reprochaient - et c'�taient g�n�ralement les m�mes -ma rouquinerie et ma juiverie. Chez les Bongrand, le poil avait de nouveau prim� ; eux, ils ne savaient pas que j'�tais juif, mais ils voyaient que j'�tais rouge. Et, quand le Marcel ou l'Albert rentrant des champs s'atta�blaient en disant : �Dis donc, la m�re, on se taperait bien un coup de rouquin�, je me sentais vis� et je l'�tais. Chez les Tavernier, j'avais souffert de quoi, au juste ? D'un peu de tout et de tout � fond : poil, coeur, sexe, race, religion, terreur vitale et p�ch� mortel. Un cocktail qui vous saoule � la fois la petite enfance et l'adolescence. Difficile de s'en tirer lorsqu'on a trinqu� comme �a si t�t avec la vie et fait tinter contre elle son verre qui s'est bris�. On en voit de ces enfants ivres de coups du sort tra�ner leurs angoisses � travers le temps, le long des �tres et des buffets. Moi, je m'en suis assez bien sorti. J'ai eu la chance d'entrer dans le monde adulte avec une enfance f�l�e mais pas cass�e et une volont� farouche de vivre � chaque instant.
Comme il me fallait rattraper tout ce temps perdu o� j'avais souffert de ma na�vet� et de la certitude des grands, je me suis mis � courir apr�s le bonheur pour me le fourrer dans le coeur et dans la poche. Ce bonheur, je me le suis gard� sous la main et je l'ai senti bouger et je l'ai serr� jusqu'� l'�touffer pour qu'il ne s'en aille pas. Bien s�r qu'il est parti, mais il est aussit�t revenu, parce que, lui comme moi, on n'a jamais pu se passer l'un de l'autre. Bonheur, malheur, la vie, la mort, l'argent, la fauche, tout �a c'est poison et antipoison, mais quand on est petit et seul on se laisse refiler la rage et on peut en crever parce que personne n'est l� pour vous dire que le vaccin existe. Moi, mon vaccin, c'�tait de penser au bonheur et lorsque j'y pensais, � ce bonheur de mes vingt ans, je voyais toujours la m�me image devant mes yeux extasi�s : un homme, moi, une femme, la mienne. Elle et moi : tout nus, assis, sereins, autour d'une table de cuisine et mangeant silencieux, avec la m�me fourchette, des spaghettis tr�s chauds qu'on tirait, elle pour moi et moi pour elle, d'une grande marmite d'�mail orange. Gr�ce � cette vision de ma vie d'adulte, mat�riau simple, � combien ! je me suis sans cesse reconstruit quand j'�tais �croul�.

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