Extrait :
Extrait de la présentation de Christine Roger :
En France comme en Allemagne, la réception de Shakespeare entre dans sa période productive vers le milieu du XVIIIe siècle. L'accueil réservé à l'auteur dramatique étranger dans les deux aires culturelles illustre de manière exemplaire les positions littéraires et esthétiques défendues à cette époque. On adhère à Shakespeare par un acte de foi ou on le rejette avec une ardeur qui prend parfois des allures de provocation. Il arrive aussi que les appréciations de l'auteur élisabéthain subissent des évolutions significatives : dans son «Discours sur la tragédie. A Mylord Bolingbroke», en tête de Brutus (1730), Voltaire évoque le «vrai pathétique» et les «singulières beautés» des spectacles anglais et dans son «Discours de réception à l'Académie française» (9 mai 1746), il fait l'éloge de Shakespeare qui «tout barbare qu'il étoit, mit dans l'anglois cette force et cette énergie qu'on n'a jamais pu augmenter depuis sans l'outrer, et par conséquent, sans l'affaiblir». Qu'une telle indulgence envers un homme «qui même ne savait pas le latin, et qui n'eut de maître que son génie» soit devenue impensable moins d'un demi-siècle plus tard en dit long sur la nouvelle tension entre l'émergence d'une subjectivité esthétique «autonome» qui prône le libre usage de l'imagination (Dryden, Warton, Johnson, Young, Bodmer) et la permanence du lien entre esthétique et moralité, théorisé par Voltaire lui-même, mais aussi par Montesquieu, Shaftesbury, ou encore Addison.
C'est la parution en 1776 d'une traduction française des oeuvres complètes de Shakespeare qui avait provoqué l'ire de Voltaire. Il affirme pourtant non sans fierté avoir parlé «le premier» aux Français de l'auteur dramatique anglais dans les Lettres philosophiques, ainsi que de Milton, Dryden, Pope, Locke et Newton. A travers Shakespeare, Voltaire vise un "mal épidémique", à savoir le nouvel engouement de certains de ses contemporains pour l'auteur dramatique anglais. Vers 1770 déjà, les sujets «anglais» de Jean-François Ducis (les tragédies d'Hamlet, 1769, et de Roméo et Juliette, 1772, toutes deux représentées à la Comédie-Française) semblaient annoncer, aux yeux de celui qui passait alors pour le premier auteur tragique des Français, le triomphe du «mauvais goût» au théâtre.
Présentation de l'éditeur :
La Revue germanique internationale se consacre à la littérature, la philosophie, l'histoire et aux arts en Allemagne, du Moyen Âge au temps présent. Elle étudie plus spécialement les transferts entre l'Allemagne et les autres espaces culturels.
Elle paraît deux fois l'an et propose des articles traduits en français de nombreux chercheurs étrangers, en particulier allemands.
La réception de Shakespeare débute en France comme en Allemagne vers 1750. Voltaire en France, Wieland, Lessing, Mendelssohn en Allemagne en sont les principaux relais. «Tout barbare qu'il étoit, il mit dans l'anglois, écrit Voltaire, cette force et cette énergie qu'on n'a jamais pu augmenter ensuite sans l'outrer, et par conséquent l'affoiblir.» Comment la connaissance de Shakespeare accompagne-t-elle et nourrit-elle même la volonté d'émancipation à l'égard des normes classiques ? Comment stimule-t-elle la défense du goût national de part et d'autre du Rhin ? Et, plus largement, comment la lecture de Shakespeare participe-t-elle à l'émergence d'une nouvelle sensibilité, celle qui prévaut par exemple dans Götz von Berlichingen (1773) ou dans Les souffrances du jeune Werther (1774) ?
Le présent volume se propose d'étudier cette réception dans sa diversité en s'attachant plus particulièrement aux questions de mise en scène et de traduction et en prenant en compte les échanges littéraires, les confrontations d'idées et les batailles esthétiques par-delà les frontières nationales.
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