Extrait :
A Catane, en ce jour, le pavé des ruelles du quartier du Duomo sentait la poiscaille. Sur les étals serrés du marché, des centaines de poissons morts faisaient briller le soleil de midi. Des seaux, à terre, recueillaient les entrailles de la mer que les hommes vidaient d'un geste sec. Les thons et les espadons étaient exposés comme des trophées précieux. Les pêcheurs restaient derrière leurs tréteaux avec l'oeil plissé du commerçant aux aguets. La foule se pressait, lentement, comme si elle avait décidé de passer en revue tous les poissons, regardant ce que chacun proposait, jugeant en silence du poids, du prix et de la fraîcheur de la marchandise. Les femmes du quartier remplissaient leur panier d'osier, les jeunes gens, eux, venaient trouver de quoi distraire leur ennui. On s'observait d'un trottoir à l'autre. On se saluait parfois. L'air du matin enveloppait les hommes d'un parfum de mer. C'était comme si les eaux avaient glissé de nuit dans les ruelles, laissant au petit matin les poissons en offrande. Qu'avaient fait les habitants de Catane pour mériter pareille récompense ? Nul ne le savait. Mais il ne fallait pas risquer de mécontenter la mer en méprisant ses cadeaux. Les hommes et les femmes passaient devant les étals avec le respect de celui qui reçoit. En ce jour, encore, la mer avait donné. Il serait peut-être un temps où elle refuserait d'ouvrir son ventre aux pêcheurs. Où les poissons seraient retrouvés morts dans les filets, ou maigres, ou avariés. Le cataclysme n'est jamais loin. L'homme a tant fauté qu'aucune punition n'est à exclure. La mer, un jour, les affamerait peut-être. Tant qu'elle offrait, il fallait honorer ses présents.
Le commandant Salvatore Piracci déambulait dans ces ruelles, lentement, en se laissant porter par le mouvement de la foule. Il observait les rangées de poissons disposés sur la glace, yeux morts et ventre ouvert. Son esprit était comme happé par ce spectacle. Il ne pouvait plus les quitter des yeux et ce qui, pour toute autre personne, était une profusion joyeuse de nourriture lui semblait, à lui, une macabre exposition.
Présentation de l'éditeur :
" Aucune frontière ne vous laisse passer sereinement. Elles blessent toutes. " Pour fuir leur misère et rejoindre l'" Eldorado ", les émigrants risquent leur vie sur des bateaux de fortune... avant d'être impitoyablement repoussés par les gardes-côtes, quand ils ne sont pas victimes de passeurs sans scrupules. Le commandant Piracci fait partie de ceux qui sillonnent les mers à la recherche de clandestins, les sauvant parfois de la noyade. Mais la mort est-elle pire que le rêve brisé ? En recueillant une jeune survivante, Salvatore laisse la compassion et l'humanité l'emporter sur ses certitudes... Voyage initiatique, sacrifice, vengeance, rédemption : le romancier au lyrisme aride manie les thèmes de la tragédie antique avec un souffle toujours épique. L'EXPRESS
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