Extrait :
Quand la CIA aidait la mafia corse à créer la «Trench Connection»
La Côte d'Azur serait, après Paris, la deuxième destination préférée des touristes américains. Dans l'après-guerre, la CIA n'a pas dérogé à cette règle en s'intéressant beaucoup à la région de Marseille, mais pas seulement pour des raisons touristiques.
Dès le début de la guerre froide, la CIA et l'OPC sont convaincus que les syndicats joueront un rôle majeur dans le combat contre le communisme en Europe occidentale. Par l'intermédiaire de la fédération syndicale américaine (AFL), déjà à la tête de ses propres réseaux clandestins en Europe, l'Agence verse près de deux millions de dollars par an aux dirigeants syndicaux anticommunistes. «Je crois que l'intérêt manifesté par l'AFL/CIO pour la protection du port de Marseille et d'autres choses de cet ordre avait commencé avant la création de l'Agence», déclarera Thomas Braden, responsable de l'OPC pour ces opérations. «J'ai l'impression qu'elles étaient effectuées par l'OSS, ou bien par l'armée, ou bien encore par le département d'État.» Il est certain qu'au début de l'année 1947, l'ambassadeur des États-Unis en France, Jefferson Caffery, a déjà averti Washington que «le pouvoir du Kremlin s'étend de plus en plus... par l'intermédiaire... du Parti communiste français et de sa forteresse, la CGT». L'ambassadeur regrette que «les dirigeants syndicaux qui s'opposent à l'emprise des communistes sur la CGT n'aient pas été en mesure essentiellement par manque d'argent d'organiser des groupes d'opposition efficaces».
En 1947, quand les communistes appellent à des grèves contre le plan Marshall, la CIA lance secrètement sa contre-attaque. Ainsi, par l'intermédiaire de l'AFL, elle verse des fonds au socialiste Léon Jouhaux, qui fait scission, avec son syndicat Force ouvrière, de la CGT, alors dominée par les communistes. Le président de l'AFL, George Meany, révélera avoir «financé la scission du syndicat français sous contrôle communiste» : «nous l'avons payé, nous leur avons fait parvenir de l'argent des syndicats américains, nous avons organisé leurs bureaux et envoyé du matériel».
Au premier abord, il paraît curieux d'imaginer la CIA en soutien fervent du Parti socialiste. Mais des trois forces politiques françaises importantes à l'époque (socialiste, communiste et gaulliste), les socialistes sont encore celle qui est la moins repoussante pour la CIA.
Dans un article du Saturday Evening Post paru en 1967, l'ancien directeur du département des affaires internationales de la CIA, Thomas W. Braden, commente la stratégie de la CIA, qui consiste à utiliser la gauche pour combattre la gauche :
«Elle fut l'oeuvre de Jay Lovestone, adjoint de David Dubinsky au Syndicat international des travailleurs de la couture. Ayant été le chef du Parti communiste des États-Unis, Lovestone connaissait parfaitement les opérations d'infiltration à l'étranger. En 1947, la Confédération générale du travail, communiste, déclencha à Paris une grève qui faillit paralyser l'économie française. On craignait une prise de pouvoir.
C'est dans cette conjoncture qu'intervinrent Lovestone et son adjoint Irving Brown. À l'aide de fonds fournis par le syndicat de Dubinsky, ils créèrent Force ouvrière, un syndicat non communiste. Lorsqu'ils furent à court d'argent, ils firent appel à la CIA. C'est ainsi que commença le financement secret des syndicats libres, qui bientôt se répandit en Italie. Sans ce financement, l'histoire de l'après-guerre eût peut-être été très différente.»
Présentation de l'éditeur :
Assassinats de dirigeants étrangers, coups d'État, trafic d'armes et de drogue, soutien à des groupes terroristes ou à d'anciens nazis, tortures, armes chimiques... Depuis sa création, la CIA n'a cessé de multiplier les infractions à la loi. Pour la première fois, cet ouvrage dresse un bilan des méthodes de l'Agence, des origines à nos jours. Il reproduit les archives permettant d'approcher la vérité : témoignage d'acteurs directs, mémos confidentiels, rapports de commissions d'enquête. On y trouve de nombreuses anecdotes sur les épisodes que l'on croit connaître, mais aussi des révélations sur l'activité de la CIA en France.
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