Extrait :
L'océan grand ouvert sur l'infini des contes
Les Bretons qui peuplèrent les mers furent aussi des pionniers de l'imaginaire. Entre le XVIe et le XVIIIe siècle, ces matelots en guenilles qui, tournant le dos à leurs landes et à leurs forêts, partirent pour les Antilles, l'Afrique, le Québec, l'Inde, la Chine ou, plus hardiment encore, pour des terres à explorer qu'on n'avait jamais vues sur la moindre carte, embarquèrent avec eux leur seule richesse : l'or des contes.
C'est ce trésor immatériel qui, chaque soir, leur permit de conjurer les souffrances de la vie à bord et les peurs indicibles qui allaient avec terreur du scorbut, des ouragans, des Anglais, voire des «sauvages», comme on appelait en ce temps-là les peuples inconnus qu'on rencontrait au hasard des escales ou des naufrages.
Réunis chaque soir sur le gaillard d'avant, ces marins souvent enrôlés de force s'y prirent comme leurs ancêtres paysans depuis le haut Moyen Age : ils repeignirent le monde à la couleur de leur imagination, comme ça leur venait, comme ça leur chantait. C'était à peu près la seule liberté qui leur restait.
De l'océan qui clapotait autour de la proue jaillirent alors toutes sortes de créatures extraordinaires. Des géants sourcilleux, des îles dérivantes, des vaisseaux fantômes, des sirènes mâles et femelles, des fées d'une beauté foudroyante et d'autres qui ressemblaient à d'atroces vieilles pestes, des rois des Puces, des chats et des rats qui n'en faisaient qu'à leur tête, des seigneurs du Vent, des royaumes sous-marins, des bateaux bizarres, des châteaux inquiétants, des terres ensorcelées, enfin une horde de diables les plus divers et une troupe encore plus fournie de capitaines maudits.
Le Graal lui-même se fit marin. Ils remplacèrent le sang du Christ par des objets étranges cachés dans les terres inconnues qu'ils cherchaient ou qu'ils croisaient. Leurs noms, «îles d'or», «pays du Grand Coquelicu», racontent à eux seuls les fantasmes qui hantaient les cervelles de ces héros de l'ombre, va-nu-pieds chassés de leurs terres par la faim, et qui, au coeur des calmes plats comme des pires typhons, et malgré l'extrême dureté de la vie à bord, s'obstinaient à réenchanter le monde.
Revue de presse :
Une schéhérazade bretonne, voilà comment on devrait qualifier Irène Frain. Avec ces vingt-huit contes où il est question d'Armorique, d'océan, de marins, de rêves et d'attente, la romancière offre de superbes moments de lecture. Par la magie du verbe, on replonge en enfance, même si ces textes ne s'adressent pas aux enfants. Bien au contraire, car il est aussi question de chimères, de drames et de morts. Après tout, les contes des Mille et une nuits s'adressent-ils aux plus petits ? Ceux écrits par l'historienne Irène Frain ont été découverts par le plus grand des hasards à la Bibliothèque nationale de France il y a plus de trente ans. (Mohammed Aïssaoui - Le Figaro du 25 novembre 2010)
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