Extrait :
Nogent-le-Rotrou, novembre 1305
La nuit étoilée était assez douce pour la saison, après l'implacable sécheresse de printemps et d'été, semblable à celle de l'an échu. Cette année encore, les moissons avaient été très médiocres.
La puterelle d'un certain âge, à moins qu'elle n'exerçât profession de makerele, avait quitté son faubourg de bordes en discrétion, jetant sur ses épaules un mantel sombre afin de dissimuler les vêtements de couleurs criardes qui la signalaient comme fillette commune, une obligation. Elle avait rabattu sa capuche pour que nul ne voie qu'elle se promenait en cheveux, l'absence de voile ou de bonnet insistant sur le fait qu'elle faisait commerce de charme.
Elle traversa d'un bon pas la ville, tête baissée, frôlant parfois le coutelas pendu à sa ceinture, afin de se rassurer. Elle fila le long de la rue Charronnerie et déboucha dans la rue d'Orée qui traversait Bourg-le-Comte, créé par Rotrou II deux siècles plus tôt afin d'y loger ses officiers et hauts personnages de cour, expliquant la richesse manifeste de ses bâtis. Un lieu où mieux valait qu'elle ne soit pas repérée par les gens d'armes du bailli puisqu'on ne tolérait leur occupation que si elle restait discrète et circonscrite aux maisons lupanardes du quartier ruffian.
Enfin, elle aperçut son but, Notre-Dame-des-Marais, la plus belle église paroissiale de la ville, une des plus importantes également ainsi qu'en attestait un pouillé récent.
*
Elle lutta contre son envie de se précipiter, n'ignorant pas qu'elle risquait alors d'attirer l'attention d'un mendiant tassé sous un porche ou d'un promeneur tardif rentrant chez lui. Une indiscrétion l'avait avertie qu'elle trouverait ce qu'elle cherchait, cette nuit.
Quelle magnifique coïncidence dans laquelle elle voulait voir un signe du ciel, puisque son projet avait vu le jour en Notre-Dame-des-Marais, lors qu'elle attendait en retrait, derrière un large pilier, pour se confesser, ou du moins montrer à Dieu qu'elle regrettait le tour pris par sa vie. Si elle en jugeait par les quelques bribes de phrases qu'elle avait pu saisir au vol, une somme rondelette l'attendait. Une jeune femme agenouillée, séparée du prêtre assis par un mince paravent, avait avoué sa terrible faute. Ni l'un ni l'autre n'avait soupçonné la présence d'une tierce personne.
(...)
Un mot de l'auteur :
Cher(e)s vous qui me lisez,
«Le tour d'abandon», a été en partie inspiré par des évènements récents, étranges résonances du passé. La réapparition des «boites à bébé», qui permettent à des femmes aux abois d'abandonner leur nouveau-né dans des niches chauffées afin qu'ils soient adoptés, m'a émue. Beaucoup ont cru à une «invention» moderne destinée à éviter des infanticides, ou des suicides de mères acculées. Pourtant, ces tours d'abandon se sont généralisés en Europe du XIe au XIXe siècle. Le deuxième évènement est l'affaire du Libor. On trouve dans l'Histoire tant de manipulations monétaires. Elles ont souvent permis à une poignée d'avertis de s'enrichir, parfois au détriment du plus grand nombre. La fascination pour l'argent n'a pas varié. Le désespoir non plus. Seuls les moyens technologiques ont évolué. L'Homme reste l'Homme. On peut s'en réjouir ou s'en désoler selon les cas. J'espère que ce roman vous entrainera bien loin.
Soyez assuré(e)s de mon amitié. Avec mes remerciements sincères,
Andrea H. Japp.
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