Extrait :
Dimanche.
- Fais gaffe à droite !
Biboul tourna la tête dans la direction que lui indiquait Olive. Il ne vit d'abord rien mais il faut dire que son masque le gênait. La visière qui protégeait ses yeux s'embuait sans cesse, il avait déjà dû la retirer trois fois pour l'essuyer. Il pesta contre son vieux matériel et se prit à envier les équipements de ceux d'en face, les Bad Snakes, dont il avait eu un aperçu une heure plus tôt, juste avant le début des hostilités. Ils essayaient même des émetteurs-récepteurs tout neufs qui l'avaient fait pâlir d'envie. Suréquipés, les Bad Snakes, avec leurs Autocockers gonflés à bloc, munis d'une lunette de visée, leurs treillis Bushlan et leurs gants en Kevlar dernier cri...
C'est au moment où il se redressait pour reprendre sa progression qu'il aperçut les deux silhouettes. Elles avançaient avec précaution, courbées en deux et en partie dissimulées par un bosquet de noisetiers sauvages dont les feuilles commençaient à prendre des couleurs d'automne. Il distinguait mal les treillis mais il savait que c'étaient des ennemis. Il ne voyait d'eux que leurs têtes couvertes de cagoules assorties aux treillis, et leurs masques kaki, des JT Spectra... avec ventilateur incorporé.
Son équipe, les Red Dragons, était sur la gauche, plus en arrière ; ils avançaient sur l'épicentre de la zone de combat par une trouée dans la forêt, plus courte par rapport à l'objectif mais aussi plus raide et semée d'embûches. Un choix stratégique qui les obligeait à ramper la plupart du temps ou à se découvrir pour enjamber ou contourner d'énormes souches.
Mais logiquement, une fois la crête atteinte, ils seraient au but bien avant les autres. Il attendit, plaqué au sol, le coeur battant, les mains moites dans ses gants de cuir défraîchi. Sa joue en contact avec le sol lui restituait la tiédeur moite de la terre dont il percevait l'odeur d'humus amplifiée par les pluies d'orage de la veille. Une fois de plus, il regretta son équipement dépassé, il allait encore avoir le visage maculé de terre, de boue, et il avait horreur de cela. Les autres avaient des protège-joues, eux... Mais c'étaient les autres.
Il vit soudain sur sa gauche bondir un combattant longiligne et un peu voûté. Fildefer, avec son treillis trop large et son masque bleu cobalt. Malgré la chaleur, il portait une cagoule de laine, il devait crever là-dessous. Biboul le vit se figer, debout, ajuster son Trracer Asa à canon court, envoyer une rafale droit devant lui.
Biboul ne voyait personne en avant de sa position, mais il se releva brusquement pour couvrir son équipier. Il entendit en même temps les plouf ! des détonations et le cri d'Olive :
- Fais gaffe, merde !
Le projectile explosa sur le tronc d'un gros chêne, dix centimètres au-dessus de sa tête, provoquant une belle éclaboussure rouge. Il se rejeta à terre, son autre joue heurtant sans douceur le sol où une couche molle de feuilles l'accueillit. Son vieux Trracer d'occasion cliqueta tandis que son estomac émettait un grondement mécontent. Un liquide amer remonta dans sa gorge, lui rappelant sans plaisir le Coca qu'il avait avalé à la va-vite sur le bord de la route, dans la zone neutre, avant de partir au combat.
Il eut soudain envie de rester là, sans bouger, allongé dans les feuilles et la tiédeur de ce dimanche de septembre.
Un mot de l'auteur :
Dans le jargon policier les «nains» sont ceux qui briguent une place sans en avoir la stature, voyous en herbe qui rêvent de gros coups, jeunes gens qui tuent pour un idéal auquel ils sont les seuls à croire ou que l'on entraîne sur le chemin du crime parce qu'ils sont malléables. Des proies faciles pour ces manipulateurs que j'ai souvent croisés au cours de ma carrière de flic, qu'ils soient religieux extrémistes ou lâches adultes planqués derrière de fausses convictions voire, même, représentants de la loi véreux. Cette histoire que je vous raconte, largement inspirée d'un vécu quotidien, ultra-violent et déjanté, montre combien peuvent être complexes les règles d'un jeu dont les «nains» sont les acteurs malgré eux.
Danielle Thiéry
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