Extrait :
1 Des mythes à la science
La perception par l'homme des phénomènes naturels extrêmes
L'étonnement produit la crainte, et la crainte fait naître la superstition.»
Georges Louis Leclerc, comte de Buffon, Histoire naturelle générale et particulière, T. II, Théorie de la Terre, Paris,
Imprimerie Royale, 1774
La préhistoire et l'histoire de l'Humanité ont été marquées par des phénomènes naturels extrêmes. Si le travail des historiens s'avère capital pour comprendre ces manifestations naturelles exceptionnelles, il est limité dans le temps par l'âge des écrits les plus anciens. Les mythes, qui précèdent l'histoire, peuvent parfois trouver leur origine dans l'existence de grands bouleversements naturels, et avoir ainsi forgé en partie l'inconscient collectif des hommes. Les grandes craintes humaines face aux forces de la nature se fondent certainement dans ces événements.
Dans ce premier chapitre, après avoir décrit l'émergence des mythes, nous présentons quelques événements naturels majeurs des époques protohistorique (la protohistoire correspond à la période de la préhistoire qui fait suite à l'apparition de l'agriculture) et historique qui semblent avoir influencé d'une manière très importante la perception du monde naturel par les hommes (Figure 1.1). Pour la période protohistorique, les exemples choisis sont ceux du Déluge, et de l'éruption cataclysmique de Santorin il y a 3 500 ans. Des mythes s'enracinent dans ces deux événements. L'histoire plus récente nous apporte également son lot de catastrophes qui ont parfois modifié le cours de l'Humanité. Cette fois, il ne s'agit plus d'événements dont la narration a été déformée par le dioptre de la tradition orale ou de l'inconscient collectif, mais de faits pour lesquels nous possédons des données historiques et des témoins géologiques permettant d'en reconstituer le déroulement avec précision. Nous présentons à ce sujet l'éruption du Vésuve de l'an 79 et le séisme de Lisbonne de 1755. On pourrait, bien entendu, citer d'autres exemples, mais ceux que nous avons choisis semblent avoir exercé un rôle de premier plan sur la pensée humaine.
L'origine des grands mythes
Le monde existe à travers le regard que nous lui portons, et par les réponses que nous tentons d'élaborer au sujet de son origine et de son évolution. Ce regard était jadis véhiculé par les mythes. Ce sont des récits symboliques et fabuleux qui apportèrent les premières tentatives de réponses aux questions centrales ; qu'est-ce que le monde, quelle est son origine, quelle place occupe l'homme dans cet ensemble ? Dès lors, chaque civilisation, chaque peuple, chaque religion a fondé son inconscient collectif dès la préhistoire sur les mythes qui trouvent leur source au plus profond de la lignée humaine, alors que les populations étaient empreintes de superstition vis-à-vis des phénomènes naturels. Les mythes ont très certainement été influencés par l'existence de phénomènes naturels exceptionnels, pour lesquels on tentait d'apporter des explications, ou à défaut une acceptation.
On pourrait croire que les mythes anciens reflétaient une vision du monde née d'une imagination dénuée de raison. Cette illusion romantique ne résiste pas à l'examen des coutumes des peuples dits «non civilisés», de tout lieu et de toute époque. Ce ne sont pas les fantaisies qui peuplent l'environnement de l'homme primitif, mais l'horreur. Aussi, face à la terreur, l'unique principe de précaution demeurait le recours à l'irrationnel. Les rites, et la souffrance qui les accompagnait, servaient de palliatif pour échapper à la fureur des divinités et pour combattre les forces du mal. Jusqu'à une époque récente, ils constituaient le seul remède expiatoire contre les catastrophes naturelles. On comprend aujourd'hui que ces calamités qui nous menacent ne constituent en rien une punition infligée par un être suprême, mais qu'elles résultent de la vulnérabilité des hommes qui s'exposent aux forces de la nature.
Biographie de l'auteur :
Professeur en sciences de la Terre à l'université Bordeaux 1, agrégé de SVT, Jean-Luc Schneider travaille sur la sédimentation associée aux phénomènes de haute énergie au laboratoire Environnements et paléoenvironnements océaniques et continentaux du CNRS. Il est actuellement membre du jury de l'Agrégation externe de SV-STU.
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