Extrait :
Extrait de l'introduction
«Les films sont comme des gens qui vous entourent. Et quand les films font tellement partie de votre vie que vous ne pouvez plus vous en passer, c'est assez agréable, j'ai donc voulu réussir à donner ce sentiment aux gens.»
Ses cheveux à présent presque blancs, comme nimbés d'un halo de lumière divine, prêtent à Martin Scorsese la componction raffinée d'un homme investi d'une mission supérieure - après tout, ne voulait-il pas entrer dans les ordres, avant que le cinéma ne devienne sa religion ? Avec Woody Allen et Steven Spielberg, il compte parmi les rares réalisateurs dont le nom, mais également le visage, sont connus de tous. Son sourire malicieux, ses sourcils broussailleux et ses lunettes en écaille évoquent autant la figure suprême du réalisateur que, jadis, la silhouette replète d'Alfred Hitchcock.
À soixante et onze ans, Martin Scorsese déborde toujours autant d énergie. De sa voix vive, au débit mitraillette, que le critique de cinéma du New Yorker Anthony Lane a comparée à celle d'un «prêtre tiraillé entre la chaire et une envie pressante», il déroule des phrases sinueuses où se mêlent histoire du cinéma et souvenirs intimes - de l'expression du chien dans la scène finale de Umberto D., de Vittorio de Sica («un vrai grand numéro d'acteur»), à l'abattage du chien dans Des Souris et des hommes («bouleversant») jusqu'au petit bichon frisé que lui avait offert sa quatrième épouse, Barbara De Fina, lors du tournage des Affranchis («le pauvre chien est devenu complètement cinglé avec tous ces coups des feu»). Et il conclut sa tirade d'un éclat de rire, pareil à un point d'exclamation, qui emplit la pièce et le renverse dans son fauteuil. Il rit beaucoup, dit-il, parce que, petit, son asthme l'en empêchait. Aujourd'hui, ne subsiste de cette réserve d'enfant qu'une lueur farouche dans son regard et une posture particulière en interview : tête baissée, yeux à terre, comme s'il encaissait les questions tels des missiles en approche.
On ne parvient à l'approcher que par le truchement d'une ribambelle d'assistantes à la voix discrète, expertes en l'art de gérer les déplacements du maestro de façon à lui procurer le moins de dérangement possible. «Pourriez-vous rester derrière la porte ?», me chuchotait l'une d'elles en 2011, lors de ma dernière demande d'interview. «Ne frappez pas... N'appelez pas... Nous viendrons vous chercher.» Lorsqu'il regarde un film dans sa salle de projection, tout le monde sait qu'il ne faut pas le déranger sauf en cas d'incendie. Un jour, un cadre haut placé a commis un péché cardinal. Le réalisateur se trouvait dans la salle obscure quand un bruit à la porte l'a fait sursauter. «Je suis juste venu vous dire au revoir, a dit une voix. Je pars pour Rome demain.» Plus tard, l'assistant de Scorsese a expliqué à ce dernier qu'il avait voulu dissuader cet homme de le déranger. Trop tard. Conclusion de Scorsese : «Je ne peux pas travailler avec ce monsieur. Ce qu'il a fait est impardonnable. Même si je voulais juste vérifier une copie, ou même une bobine, sans me plonger émotionnellement dans le film, je ne peux collaborer avec quelqu'un qui ne respecte pas le caractère sacré d'une salle de projection !»
De tous ses pairs, Scorsese est celui dont la carrière témoigne le mieux des mouvements tectoniques qui ont bouleversé le milieu ces cinquante dernières années. Le cinéma est-il un art ou une industrie ? La création personnelle peut-elle constituer une véritable carrière ? Combien de temps peut durer un auteur au style européen à Hollywood ? Grâce à Scorsese, nous connaissons la réponse à cette dernière question : neuf ans. Cela correspond à la durée du séjour du réalisateur a Hollywood depuis son arrivée à Los Angeles en janvier 1971, où il placarde l'affiche de Quinze jours ailleurs, de Vincente Minelli, au-dessus de son lit, jusqu'à l'hiver 1979, qui marque son retour à New York, sa crédibilité mise à mal par l'échec de New York, New York et sa santé ruinée par la cocaïne. Entre ces deux étapes, il aura réalisé un bon paquet de films, dont Mean Streets, Alice n'est plus ici, Taxi Driver et Raging Bull - des oeuvres parmi les plus personnelles du cinéma américain, explosives, ébouriffantes, pleines de violence et d'humour nerveux, de rage et de rock'n'roll. «Mean Streets est un fragment de moi-même», explique-t-il à un journaliste en 1981. Lorsqu'il lit pour la première fois le scénario de Paul Schrader pour Taxi Driver, il a l'impression de l'avoir rêvé. Raging Bull est un «tournage kamikaze», un film qu'il lui faut faire même s'il doit ne plus en tourner d'autres.
Présentation de l'éditeur :
Avec Woody Allen et Steven Spielberg, Martin Scorsese compte parmi les rares réalisateurs dont le nom, mais également le visage, sont connus de tous. De son premier court-métrage What's a Nice Girl Like You Doing in a Place Like This? en 1963 quand il était encore étudiant à la New York's Film School au Loup de Wall Street ou la Film Foundation qu'il créa en 1990 dédiée à la préservation du patrimoine cinématographique, il n'a eu de cesse de se vouer entièrement au 7 e Art. Martin Scorsese - Rétrospective illustre, film par film, au travers d'anecdotes, de souvenirs de tournage, de documents rares et de plus de 250 photos l'oeuvre cohérente d'un réalisateur qui occupe d'ores et déjà une place unique dans l'histoire du cinéma.
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