Extrait :
RUE DE RIVOLI.
MON PÉRE MARCHE DANS LES RUES DE PARIS après que son contact du parti communiste, quelque part dans les hauteurs de Ménilmontant, lui a signifié qu'il ferait mieux de s'évanouir dans la nature et de ne plus jamais réapparaître. Angel est en France depuis vingt-quatre heures, et du pays, il en a vu. Il a raconté mille fois comment il a traversé, perdu dans ses pensées, trois arrondissements. Je ne peux que les imaginer, ses pensées, puisqu'il n'en a jamais rien dit. Derrière lui, deux ans de guerre, neuf mois de camp, dix ans de clandestinité, trois ans de prison. Et le parti le passe par pertes et profits. Il est seul. Il marche dans les rues d'une ville inconnue dont il ne parle pas la langue. Il n'a nulle part où aller, son passé vient de s'anéantir, il n'a pas d'avenir. Et pas d'autre présent que le bruit de ses pas sur le pavé parisien. Il marche, marche dans la nuit.
Il a adhéré tout jeune, avant quinze ans, au fan club de Wladimir Ilitch Oulianov, alias Lénine. Le parti a été sa maison, sa famille, sa cour de récré, son aventure, son rêve d'un monde meilleur, son idéal. Il a pris la parole dans des meetings en tant que jeune prodige de la lutte des classes, il a lu toutes les biographies des grands aînés, il a fui son foyer, a rejoint l'armée, il a eu un fusil entre les mains, il a été au front en première ligne avant ses seize ans, il a été prisonnier, il a cassé des cailloux, il a eu faim, soif, froid, et jamais, jamais il n'a perdu foi en la cause, même au moment du pacte germano-soviétique, qu'il a eu tant de mal à avaler. Et maintenant il ne lui reste comme certitude que ses mains dans ses poches et ses pieds qui avancent sans but.
Présentation de l'éditeur :
Une fillette raconte le parcours du combattant de ses parents, Angel et Libertad, réfugiés venus en France pour échapper à la dictature franquiste. Avec ses mots d'écolière, elle explique comment, à peine arrivés, ils durent démarrer une nouvelle guerre, non plus pour leurs idées mais pour leur identité.
Elle tente de déchiffrer ce monde où les sentiments, les ressentiments sont à la taille des grands. Dans sa petite tête un champ de points d'interrogation. Étrangère, qu'est-ce que cela signifie au juste ? Perception enfantine touchante et drôle de la différence, du courage des parents, mais aussi des lâchetés et des peurs de tous.
Et puis, il y a la langue. Celle d'un pays que l'on ne quitte jamais vraiment, et qui vous ramène sans cesse d'où vous voulez ou devez partir. Et cette autre langue, apprise par devoir et utilisée avec bonheur pour décrire ceux dont l'ailleurs est le pays.
Née en Bourgogne de parents espagnols réfugiés politiques, est devenue française à l'âge de huit ans par naturalisation.
Elle est aujourd'hui chroniqueuse à la radio et à la télévision.
L'Exil est mon pays est son troisième roman
Les informations fournies dans la section « A propos du livre » peuvent faire référence à une autre édition de ce titre.