Extrait :
Prem était fatigué. Il avait soixante-quinze ans et il était fatigué. Avec derrière lui une trentaine de livres, d'innombrables récompenses et un prix Nobel, c'était permis non, avait-il rétorqué à Pascal au téléphone, regrettant aussitôt ses paroles. Pascal n'avait pas encore eu le prix, l'aurait-il un jour ? Ce n'était plus évident.
Pascal ne se laissa pas démonter et poursuivit :
- Mais, mon ami, c'est cette façon que tu as d'écrire. Tu ne pourras pas toujours rédiger comme cela, à la main, debout à ce pupitre. Vis avec ton temps, tape à l'ordinateur, va sur Internet, achète ton Viagra en ligne. Prolonge ta jeunesse et... apprends à t'asseoir.
Mais Prem allait déjà sur Internet. Il était tout simplement incapable d'écrire un roman assis. Incapable de réfléchir à des thèmes essentiels, à des passages transcendants, le cul collé à une chaise. S'il n'était pas debout, il ne travaillait pas avec la même netteté. D'après lui, personne ne le pouvait. En fait, ses romans avaient quelque chose de plus que ceux de Pascal et de Pedro parce qu'il les écrivait debout, il en était persuadé. Le plus éminent des trois P., disait-on de lui.
Prem sentait une raideur dans les chevilles. Il n'y avait pas si longtemps encore, il pouvait écrire jusqu'à midi sans interruption. Il alla au tableau mural où il avait accroché la planche d'acupuncture qu'Homi lui avait envoyée d'Inde. Prem passa son index sur le dessin du pied et les différents points sur lesquels appuyer. Il avait reçu également un paquet plein de cadeaux et une carte signée de Ratan, avec ces mots : «Papi, tu me manques.» À part la petite figurine de GI Joe, Ratan n'avait sans doute choisi aucun élément du colis.
S'il devait se fier à la planche, les points sensibles de son pied correspondaient à la zone de l'estomac et à celle de la colonne. Pourtant il n'avait mal ni à l'estomac ni à la colonne. Seuls ses pieds le faisaient terriblement souffrir. Prem s'assit avec précaution dans le canapé en cuir fauve, dans un coin de son studio. Il regarda dans le vide quelques minutes, puis ses yeux se posèrent sur la pile de livres reliés entassés dans le coin, les dos de couleur bleue, son nom, d'une écriture nerveuse, en italiques jaunes. Cette couverture était différente de toutes les précédentes. Ses éditeurs lui avaient demandé de passer à leurs bureaux au lieu de lui envoyer un essai par e-mail. Et quand, lors de la réunion, Rudolf l'avait montrée à Prem, il lui avait dit :
- Cette fois, pour la couverture, on a fait dans le sexy. Rudolf et Stern, prétendant que la graphiste était retenue en rendez-vous, profitèrent des quelques minutes de plus avant la remise du numéro zéro pour se répandre en louanges sur ce travail.
- Ça me convient, avait dit Prem, tendant le livre que l'on venait de lui présenter.
Il l'avait aussitôt accepté car il savait sans hésitation que ce jaune était la couleur préférée de Ratan. Trop jeune pour lire ses romans, Ratan aurait néanmoins une opinion sur la couverture dès qu'il la verrait.
Revue de presse :
À travers les héros de son dernier roman, Abha Dawesar raconte son histoire d'amour avec la capitale, berceau de sa vocation d'écrivain...
Après Babyji, paru l'année dernière en France et acclamé par le public et la critique (Claude Berri produit son adaptation au cinéma), Abha Dawesar a voulu rendre hommage aux étés parisiens, qu'elle a passés, depuis 2002, à écrire et à absorber la Ville Lumière...
Chez Abha Dawesar, la culture française est un sixième sens. Lâchez-la les yeux fermés au Musée d'Orsay, elle saura trouver d'instinct les danseuses de Degas, Les Raboteurs de parquet de Caillebotte. Elle parle de Marguerite Duras comme si elle l'avait quittée la veille et avoue son rêve immodeste de l'accueillir, elle et sa musique, dans sa tête. Enfin, Abha Dawesar, dont l'écriture sensualise tout ce qu'elle touche, peut vous tenir un discours sur le pouvoir érotique d'un fromage : à faire pâlir d'angoisse ses congénères new-yorkais. (Astrid Eliard - Le Figaro du 29 mai 2008 )
Abha Dawesar signe là son second roman. «Dernier été à Paris» aborde des sujets délicats-la perspective de la mort, l'amour charnel entre un vieil homme et une jeune étudiante, l'inceste passionnel entre le protagoniste et sa soeur. Ecriture, art et sexe s'entremêlent dans une atmosphère très sensuelle. Le style est tout en finesse, parfois cru mais jamais vulgaire. Et la jeune auteur indienne en profite pour déclarer sa flamme à la capitale française. (Sabrina Dufourmont - Le Point du 17 juillet 2008 )
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