Extrait :
Le soleil furieux donnait à la scène des allures de tragédie. Le genre antique avec du destin implacable et des reines adultères résignées à mourir sous le glaive de types revenant de guerre, chargés de butin et d'une belle captive aux bras blancs. Ou alors avec de vieilles épouses résolues à saigner ces rois jadis aimés. Ces couples en débandade débrouillent leurs honteuses affaires d'amants et de maîtresses en coulisses et se balancent des pentamètres iambiques pleine poire devant des palais en ruine. Parfois aussi, les femmes délaissées assassinent leurs enfants pour faire souffrir leur père. Mais les survivants s'étripent au dernier acte, voilà qui est assuré. Ensuite, sur d'autres théâtres, les orphelins, les serviteurs fidèles et les dieux s'occupent des vengeances qui s'imposent. Pourquoi le fait divers d'aujourd'hui aurait-il été moins sanglant que le mythe des temps anciens ?
Une jeune femme attend, en bikini rouge, longue et mince, le cheveu vénitien court bouclé, une main en visière, l'autre qui tient celle d'un petit brunet cul nu, T-shirt imprimé d'un trognon de pomme ou d'un papillon, trois ans au pire, qui suce son pouce. Je vois leur immobilité tendue. Derrière eux, les quatre ou cinq maisons paysannes de pierre sèche, à peine séparées par la circulation d'étroites calades tortueuses, dégringolent de la colline. L'ensemble tiendrait sur la paume ouverte d'un ogre. Sa restauration est en cours, pour composer bientôt un seul lieu d'habitation. Certaines bâtisses déjà retapées, couvertes à neuf, fenêtres et volets hermétiques, bien en vie, d'autres, mi-éboulées, sans toit, sont des squelettes anciens sur ces champs de fouilles, de pauvres os blanchis dont personne ne sait rien, et qu'on va tâcher de ressusciter le plus dignement possible.
Sur le chemin pentu, entre les oliviers plusieurs fois centenaires, la femme et l'enfant paraissent guetter la venue d'un visiteur, d'un messager accouru annoncer l'issue d'une lointaine et incertaine bataille. Les lèvres de la jeune femme dessinent aussi une grimace, parce qu'elle n'en peut plus des odeurs lourdes, vanillées, du midi plein sur la caillasse, de celle des fruits pourrissants, vinaigrée je suppose, du son vrillé des cigales, de la chaleur en trop. Et puis les fantômes anciens la frôlent à lui hérisser le poil. Elle a étrangement sommeil à cette heure-ci, elle ne se l'explique pas, le petit lui pèse à bout de bras comme un sac inerte. Alors elle recule dans l'ombre intérieure de l'ancien pressoir tout proche, pas encore couvert mais prêt à une nouvelle charpente. Elle y tire le gamin et une fois au plus profond, comme ils tordent le cou pour voir dehors par la grand-porte béante, quelqu'un les appelle depuis la venelle en surplomb qui affleure le haut du mur, plus étroite qu'une largeur d'épaules. Ils lèvent les yeux, Oui, qu'est-ce que ?
Revue de presse :
Avec pour scène de meurtres Lille et sa région, Michel Quint fait lire un roman où une génération perdue se fourvoie dans les mirages d'une société mensongère...
Les filiations littéraires existent : Jules Gileron pourrait être le petit-neveu de Jules Maigret. En effet, chez Michel Quint il y a du Simenon, mais aussi du Jean-Patrick Manchette. La précision de retraduire les atmosphères poisseuses, la chaleur moite qui s'infiltre entre les immeubles, les nuits chargées d'alcool véhiculées par la ville pour le premier, et l'alchimie nauséabonde et haletante entre meurtre, pouvoir, relations entre les être pour le second...
Et d'assassinats en suppositions, il nous entraîne dans les réseaux de prostitution sur le net, un filet qui prend dans ses mailles des ménagères aux fins de mois difficiles, le moyen pour des étudiantes de payer leurs études et une fois l'université perdue, il ne leur reste que leurs apparences pour continuer à profiter de ce que la vitrine de la consommation leur fait miroiter. (Virginie Gatti - L'Humanité du 17 janvier 2013)
Mauvaises rencontres, milieu sportif pourri, amours compliquées, prostitution... L'auteur suit des pistes, sans jamais nous perdre en chemin. Loin des thrillers qui pétaradent, il prend son temps pour décrire un patron de bar aux épaules tatouées...
Cet écrivain a toujours préféré la poésie à la télé-réalité. (Christine Ferniot - Télérama du 13 février 2013)
Michel Quint adapte un fait divers survenu à Lille, et réussit un roman de diversion...
Touche par touche, l'auteur montre une ville à double visage, et met au jour l'esprit de trouble propre au fait divers...
Michel Quint "adapte" l'affaire (réelle) des disparus de la Deûle (cinq corps repêchés entre novembre 2010 et septembre 2011). Chez lui, le fait divers fait diversion entre le présent (Lille) et la tragédie grecque, assorti d'un sentiment d'étrangeté glaçante, et surtout d'une intemporalité aussi poétique que son titre, puisé chez Robert Desnos. (Hubert Artus - Lire, avril 2013)
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