Extrait :
«Vingt et une pièces peintes avec une vigueur et une grâce extraordinaires par feu J. Vermeer Van Delft»
Durant les premiers jours de février 1696 se produisirent à Amsterdam, centre alors de l'empire commercial le plus puissant du monde, une série de troubles que l'histoire a retenus sous le nom de Révolte des croque-morts. Ils furent déclenchés par un décret des États de Hollande stipulant que seuls les entrepreneurs des pompes funèbres agréés par le gouvernement seraient désormais autorisés à procéder aux enterrements. Cette mesure mettait beaucoup de monde au chômage et faisait craindre une augmentation conséquente du coût des obsèques. Ce qui avait commencé par une manifestation sur le Dam, devant l'hôtel de ville, dégénéra rapidement en émeute. La populace, grossie par des marins en goguette sur le port, se mit à piller les demeures des édiles municipaux et des riches marchands. La milice reprit enfin les choses en main non sans qu'un grand nombre d'émeutiers ne soient blessés ou laissés pour morts.
Quelques semaines seulement après ces événements, un avis publié dans le Amsterdamsche Courant informa les amateurs d'art que des tableaux de maîtres célèbres seraient mis aux enchères le 16 mai suivant dans l'un des hospices de la ville. La vie avait apparemment repris son cours normal et, malgré la guerre que menait la France à la République dans toutes les Provinces-Unies (c'est ainsi que l'on nommait les Pays-Bas à l'époque) et le ralentissement de l'activité économique responsable des soulèvements, on avait encore de l'argent à dépenser, semble-t-il, pour des articles de luxe comme des peintures à l'huile. On a souvent dit de cette vente qu'elle avait marqué la fin de l'âge d'or de la peinture hollandaise, qui coïncida avec l'apogée de la puissance des Provinces-Unies et au cours duquel, en un siècle, entre les années 1590 et 1690, on produisit sur toile ou sur panneau de bois des dizaines de milliers de tableaux dont on faisait collection et que l'on exposait fièrement dans les demeures, tant celles des plus modestes que celles des nantis. Cette vente aux enchères est significative à plus d'un titre. Il y eut et il y aura beaucoup d'autres ventes d'oeuvres d'art dans l'Amsterdam de la fin du XVIIe siècle ; toutefois, ce qui distingue celle de 1696, c'est que figuraient au catalogue vingt et un tableaux de Johannes Vermeer, le peintre de Delft dont les oeuvres relativement peu nombreuses sont désormais unanimement considérées comme l'une des expressions dans l'art hollandais les plus hautes, voire la plus haute, de l'idéal de paix, de propriété, de prospérité et, pour sacrifier à l'allitération, de poésie domestique : l'idéal - ou rêve, ou mensonge, au choix - qu'avait tenté de mettre en pièces au cours du mois de février précédent dans sa fureur aveugle la foule de ceux qui en étaient perpétuellement exclus.
Présentation de l'éditeur :
Vermeer est le peintre du silence et de la quiétude, celui d'un présumé «âge d'or» de la Hollande qu'il n'a, de fait, jamais connu. Son monde : une République engagée dans une guerre d'un demi-siècle contre l'Angleterre et la France ; une ville, Delft, frappée de tous les fléaux ; un foyer familial où règne le tumulte, et parfois la violence. Ainsi sa Vue de Delft, une vision du bonheur, de la paix et de l'élévation spirituelle, a été peinte en réalité dans une ville partiellement détruite par l'explosion de la poudrière...
Vermeer est, avec Rembrandt, l'artiste le plus célèbre du XVIIe siècle hollandais. Or, on ne sait rien de lui ou presque, hors le petit nombre de ses oeuvres qui nous sont parvenues. Il a vécu une vie tourmentée, marquée d'une hérédité trouble. Pourtant ses jeunes Vierges domestiques annexent la grande et sombre Histoire pour y projeter, jusqu'aujourd'hui, l'illusion de leur paix intérieure.
À paraître dans la même collection, du même auteur, Le Nez de Rembrandt, encensé par la critique lors de sa première édition (2006) :
«Cadeau du ciel, ce livre.»
Danielle Gillemon, Le Soir.
«Érudit mais sensuel, son langage résonne... et vous donne envie de peindre...»
Julian Bell, «Les meilleurs livres de l'année», Times Literary Supplement.
«Bien plus qu'un gadget, l'approche nasale de M. Taylor est une façon de souligner le côté terre-à-terre et physique de Rembrandt... une belle introduction à l'art et à l'oeuvre du peintre.»
Ken Johnson, «Le choix des critiques» du New York Times.
Spécialiste et amoureux de la peinture hollandaise du XVIIe siècle, MICHAEL TAYLOR est l'auteur de l'essai précédemment cité sur Rembrandt. Traducteur et co-traducteur de nombreux livres d'art, notamment du Matisse de Pierre Schneider, il est titulaire d'un doctorat de lettres comparées.
Les informations fournies dans la section « A propos du livre » peuvent faire référence à une autre édition de ce titre.