Extrait :
Introduction de Jean-Pierre Guéno
Jamais dans l'histoire de France l'écrit n'a joué un aussi grand rôle que sous l'Occupation. Il était donc logique qu'après le premier volume de Paroles de l'ombre, qui a mis entre les mains de plus de 80000 lecteurs les lettres et les carnets des Français sous l'Occupation, soient rassemblés dans ce deuxième volume les textes des écrivains, des poètes, des journalistes, des hommes politiques, des intellectuels, lorsque leurs mots autorisés ou clandestins, résistants ou collaborateurs, n'étaient pas réservés à leur seul entourage mais destinés au plus grand nombre.
Entre 1940 et 1944, la France vaincue n'est pas seulement divisée entre sa zone occupée au nord et sa zone libre au sud. Elle est déchirée par une véritable guerre des mots, qui prend sa source dans les années 1930, qui se déchaîne dès la «Drôle de guerre» et ne trouve son épilogue qu'à la fin du conflit, au terme de l'épuration et des grands procès. Les mots deviennent des armes, sous la plume des résistants, comme sous celle des envahisseurs ou des collaborateurs qui les servent. Ils occupent un vaste champ de bataille : celui de l'information et de la désinformation, de l'idéologie et du mensonge, de la propagande et de l'endoctrinement, de la pensée, de la littérature, de la poésie, de la presse, de la publicité, du divertissement, de la loi, de la politique, de la répression et du renseignement. Mots de résistance, de dissidence et de contrebande, griffonnés dans des cahiers d'écoliers, gravés sur les murs des villes et des prisons, tamponnés, recopiés, imprimés sur des «papillons» jetés sur le trottoir, sur des tracts reproduits à quelques dizaines d'exemplaires, sur des brochures plus ou moins périodiques, sur des bulletins de deux ou quatre pages par manque d'encre et de papier, dans des recueils de poèmes, dans des journaux, dans des revues et dans des livres clandestins... Mots de vie, de révolte et d'espoir qui traduisent le sursaut de certains intellectuels et celui de gens très simples qui s'improvisent soldats de l'encre et du plomb, passeurs de messages, journalistes résistants ou tribuns de l'ombre.
Mots mortifères, mots de résignation, mots de collaboration qui font d'une certaine élite et de certains Français de la rue les collaborateurs zélés et parfois furieux du régime de Vichy et des nazis. Mots de haine écrits par des intellectuels aveugles ou fourvoyés qui n'ont pas toujours l'excuse de manquer d'intelligence. Mots qui contaminent, qui infectent et qui tuent : une sorte de guerre bactériologique du langage. Mots des affiches, de la «réclame», mots de la loi. Mots secrets, mots codés. Mots des mots de passe. Noms inscrits dans les fichiers, dans les lettres de délation et sur les faux papiers. Guerre du verbe et guerre des ondes radiophoniques. Paroles d'humour. Paroles de chansons. Comme nous le rappellent Sartre et Camus à la Libération, la poésie, la littérature et le journalisme modernes que nous apprécions aujourd'hui sont nés dans l'ombre de l'Occupation. Ils sont le fruit du papier introuvable, de l'encre volée et d'un sang risqué et trop souvent versé. Ils ont puisé dans la clandestinité le sens de la concision, de la précision, de l'engagement qui les caractérisent au sortir de la Libération, lorsque tout doit être refondé sur de nouvelles bases. Ces mots d'une vie qui nous est proche et qui mettent par la magie du fac-similé notre histoire entre nos doigts deviennent aujourd'hui les mots du souvenir, de la vigilance et de la transmission. Ils ont pour toujours valeur d'actualité.
Biographie de l'auteur :
Après avoir dirigé le développement culturel de la Bibliothèque Nationale pendant 7 ans, Jean-Pierre Guéno a dirigé les éditions de Radio France de 1997 à 2008... Depuis qu'il a créé et lancé Paroles de Poilus, Jean-Pierre Guéno, directeur des éditions de Radio France, définit chaque année un nouveau sujet. Il lance un appel à l'antenne, puis lit chacun des documents reçus. Après avoir trié, sélectionné et ordonné les textes en fonction de leur force, il remonte la piste des documents privés (lettres autographes, photos de famille, objets), qui donnent à l'album son parfum d'émotion et d'authenticité. Ancien éléve de l'Ecole Normal Supérieure de Saint-Cloud, Jean-Pierre Guéno est passionné d'Histoire... Il est l'auteur ou le co-auteur de nombreux ouvrages, dont Je t'aime, Cher pays de mon enfance, Paroles de Poilus, Paroles de détenus, Paroles du Jour J et Paroles de femmes sont parus aux Arènes.
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