Extrait :
Les goûters de mon enfance surgissent soudain de ma mémoire. Un parfum de chocolat saupoudré en copeaux sur une tranche de pain frais et beurré. Ce souvenir gourmand, depuis longtemps oublié, me surprend à l'instant où je fixe la pendule de la voiture à l'arrêt : il est 16 heures. L'heure du goûter. L'enfant qui m'a conduite ici, lui, ne goûtera plus jamais, car il est mort. Assassiné, avant-hier soir.
Les salissures du pare-brise ressortent sous le soleil des Vosges. Denis Robert de Libération et moi avons un peu tâtonné pour trouver ce village de Lépanges-sur-Vologne, puis, sur une colline, la maison isolée des parents du petit garçon. Sur mon carnet de notes, de vagues indications collectées auprès d'un confrère local :
«Lépanges-sur-Vologne : gros village vosgien. Jean-Marie, le père, contremaître. Elle, ouvrière. Ont construit une jolie maison. Hier la mère va chercher le gosse à l'école. Le laisse jouer dehors. Voiture de couleur verte.»
Denis voyage avec moi par commodité. Un autre reportage nous attend à Strasbourg en fin de soirée. Nous ne nous attarderons donc pas ici : le temps de recueillir une interview des parents ou, à défaut, des grands-parents de la victime, deux ou trois informations sur un corbeau - apparemment l'assassin - traqué par les gendarmes et quelques réactions dans le village. Nos rédacteurs en chef ne tiennent pas à s'appesantir sur ce meurtre, qu'ils trouvent sordide. Tant mieux, nous non plus.
Pendant quelques secondes nous nous taisons, peut-être par respect instinctif pour l'objet, tragique, de notre déplacement. Autour de nous, les collines dévalent vers une rivière, mêlant prés étages et cultures en terrasses. Des bordures rousses séparent les grands carrés de terre. (...)
J'hésite à descendre de voiture et Denis ne m'y engage pas. Il estime incongrue ma quête d'interview des parents de l'enfant mort. Pourtant, RTL a diffusé ce matin quelques mots du père, recueillis peu après le drame par le journaliste Jean-Michel Bezzina. Nous occupons tous deux la même fonction de correspondant dans l'Est, lui depuis quinze ans pour RTL et moi depuis un an pour Europe 1. Une concurrence atavique oppose nos deux radios, l'une devant toujours faire plus ou mieux que l'autre. Je suis donc là pour obtenir quelques propos de la mère endeuillée.
Présentation de l'éditeur :
En 1984, jeune journaliste à Europe 1, Laurence Lacour arrive dans la vallée de la Vologne pour couvrir l'assassinat de Grégory Villemin, un enfant de quatre ans. En quelques semaines, ce fait-divers devient un feuilleton national. L'instruction se déroule à ciel ouvert. Partie pour deux jours, Laurence Lacour reste quatre ans dans les Vosges. Traumatisée par ce qu'elle a vu et vécu, elle quitte le journalisme pour écrire ce livre.
Le Bûcher des innocents est à la fois une enquête de haut vol et le récit de l'initiation d'une jeune journaliste aux démons des médias. Avec pudeur, humanité, et un souci extrême de la vérité, Laurence Lacour a écrit un livre unique, qui saisit le lecteur dès les premières pages et ne le lâche plus. Alors que l'affaire reste aujourd'hui encore une énigme, il apporte toutes les pièces du puzzle, de l'assassinat du premier suspect, Bernard Laroche, par le père de Grégory poussé à bout par les médias, aux rumeurs contre Christine Villemin, transformée en personnage de fiction, diabolique et manipulateur.
Laurence Lacour démonte l'engrenage de passions, d'intérêts, d'incompétence et de folie qui ont donné sa démesure à l'affaire. D'une plume tendre et humaine, elle retrace la chronique d'une passion française et raconte l'amour inaltérable qui a sauvé les parents de Grégory, tout au long du cauchemar.
Salué par la critique lors de sa parution, il y a treize ans, ce livre reparaît aujourd'hui dans une version entièrement refondue, grâce, notamment, aux pièces d'instruction, désormais accessibles.
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