Extrait :
Ils sont arrivés, j'ai entendu l'avion. Deux groupes de sept. Seslem est allé les chercher avec ses chauffeurs à l'aéroport. Comme c'est Noël, un repas est prévu ici avant qu'ils partent pour «l'aventure» comme ils disent. J'ai tout préparé ce matin : couscous, viande, salade verte et tomates. J'ai mis la nappe à l'étage des invités. Il me restera les oranges à rincer, le thé à sucrer et à faire bouillir pour la fin. Comme d'habitude, ils me croiseront sans me voir. Moi, je les regarde, je les observe, ils sont tellement bizarres. Mais je ne les vois pas. Je veux dire que je n'ai aucune possibilité de les comprendre. Aucune. Et comme ils n'ont aucune possibilité de me comprendre, match nul !
Ça y est, ils sont là. Dix femmes, quatre hommes. Elles ne vont pas être contentes, il paraît qu'elles se plaignent quand les hommes ne sont pas assez nombreux. Il y a même une fois où elles ont fait des histoires parce qu'il n'y avait pas d'hommes du tout : ça faisait neuf femmes dans un groupe, elles étaient furieuses. Comme leur a dit Seslem : «Avec toute l'équipe locale, masculine, ça équilibre.» Il est très diplomate. Et malin ! Il est allé leur apporter des oranges fraîches au huitième jour, quelques petites pâtisseries bien sucrées, leur a raconté des histoires d'ici, et, finalement, elles sont reparties très contentes.
Ceux d'aujourd'hui sont tous en beige ou kaki. Ça doit être la mode en ce moment chez eux. Shorts, bermudas, pantalons longs, tee-shirts colorés, chaussures flambant neuves, pourtant ce n'est pas conseillé. Appareils photo numériques dernier cri aussi. Tiens, il y en a une qui m'a pris en photo - sans rien me demander, sans même me regarder... Ils sont bavards et bruyants, parlent tous en même temps, d'un bord à l'autre de la nappe, mais ils semblent se comprendre. Ils disent toujours les mêmes choses : ce qu'ils ont «fait» ou ce qu'ils vont faire comme pays, avec qui, chez qui ils ont acheté les vêtements, où on peut trouver le meilleur GPS, etc.
Et puis il y a la grave question de la gourde. Quelle est la meilleure marque ? Et la matière ? Inox, aluminium avec intérieur émaillé, plastique ? Un tuyau direct du sac à dos à la bouche ? Et son isolation ? En faut-il une de deux litres, ou bien deux d'un litre ? Et comment on fait avec les pilules à mettre dans l'eau pour la désinfecter ? Il vaut mieux deux gourdes d'un litre, parce qu'on peut alterner le traitement chimique. Oui, mais deux litres, ça fait lourd dans le sac. Il y en a même qui viennent avec des filtres mécaniques...
Tout à coup, ils appellent Seslem en choeur, pour un problème important : «Et les chèches, quand est-ce qu'on va en ville pour les acheter ? Combien de mètres il faut ? Combien coûte le mètre ? Quelles couleurs on trouve ? Mais alors, il faut passer à la banque avant pour le change ? Ça va nous prendre combien de temps, parce que c'est l'hiver, les jours ne sont pas longs et il faudrait qu'on arrive avant la nuit, quand même. Parce que pour s'installer...»
Présentation de l'éditeur :
En quelques années, le Sahara s'est fermé au monde, devenant une zone de non-droit où se sont développés terrorisme, trafics, conflits et rébellions. En suivant le parcours d'Abdu, un jeune Touareg, Catherine Hadacek raconte la fin du tourisme et le désarroi des nomades sahariens à qui il ne reste désormais plus d'autre choix que de fuir leur pays ou de prendre les armes.
Un témoignage poignant, suivi d'une analyse de la situation géopolitique et humaine au Sahara.
Catherine Hadacek a été guide au Niger, en Algérie et en Libye pendant quinze ans. Elle a partagé la vie des Touaregs et recueilli de nombreux témoignages qui lui ont permis d'écrire ce livre.
Née en 1961, Catherine Hadacek a été guide accompagnatrice au Sahara durant quinze ans. Elle a également accompagné des voyages en Jordanie, Namibie, Mongolie et Islande. Dans une vie antérieure, elle a travaillé pour un laboratoire multidisciplinaire à Genève, en tant qu'assistante de recherches en sciences sociales et sociologie de la consommation. Auteur d'un lexique suisse romand-français publié en 1983 aux éditions Pierre-Marcel Favre (Lausanne), elle est aujourd'hui rédactrice pour une agence de voyages.
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