Présentation de l'éditeur :
«-Alors, m'sieur le commissaire ! Vous allez vous mettre à table ou bien on vous cuisine aux forceps ? Tout San-Antonio que vous soyez, avec nos méthodes, vous finirez par cracher le morceau, vous verrez !Vous préférez qu'on vous passe sur le gril ou au presse-purée ?
- Qui ça, on ? dis-je en reluquant le gnace qu'est entré sans frapper dans mon burlingue, suivi comme son ombre par un gros lard à frime de bouledogue qu'a des paluches épaisses comme des chateaubriands.
- Les boeufs-carottes, bien sûr ! Tu vas pas nous dire qu'avec ta réputation d'as des as, tu nous avais pas reniflés ?
- Puisqu'on se dite tu, je vais t'avouer qu'à l'odeur faisandée, si ! Mais pourquoi l'Inspection Générale des Services me court-elle sur le râble ?
- Dis-donc, poulet, est-ce que tu nous prendrais pour des truffes ? Depuis le temps que tu traînes tes savates avec ce vieux mironton de Pinaud et cette grosse enflure de Bérurier, tu crois qu'on n'a pas pigé que tu mijotais quelque chose ? Sans parler de ta vieille.
- Félicie ? Ma brave femme de mère est dans le coup ?
- On pense même que c'est elle le cerveau.
- Ma Féloche à moi ?
- Joue pas les crèmes d'andouille, tu veux ?
- On sait très bien qu'elle note tout dans un gros cahier. Et que jusqu'à ces jours-ci, elle le planquait dans sa cuisine.
- Dans sa cuisine ? Le cahier de Félicie avec toutes ses recettes aux petits oignons ? C'est ça que vous cherchez ?
- Oui, mais il a disparu ! On a perquisitionné ton pavillon de Saint-Cloud ce matin pendant que ta vioque était au marché et on n'a rien trouvé ! Rien !
Peau de balle...
Dans ma Ford intérieure, je commence à me fendre la hure, ce qui n'est pas vraiment du goût du suprême de volaille de mes deux.
- Et si je parle pas ? lui bonnis-je.
- Alors, tu vas déguster ! Une praline dans le citron, une dragée dans la brioche, une prune dans les côtelettes, un pruneau dans les tripes...
Qu'est-ce que tu préfères pour finir en viande froide ?
- Page 267 !
- Qu'est-ce que tu dégoises ?
- La recette du poulet froid, c'est page 108 du cahier de Félicie.
- Mais où est-il ? braie-t-il comme un âne qu'on viendrait de castrer.
- En vente dans toutes les bonnes librairies ! J'ai gueulé si fort qu'il doit avoir les tympans crevés. Alors, sans même un regard pour cette paire d'emplumés, je quitte la maison Parapluie. M'man m'attend pour déjeuner. Et y a de la blanquette de veau au menu...»
Journaliste et auteur culinaire ayant publié plus d'une centaine d'ouvrages. Blandine Vié est une femme gourmande de mets et de mots. Avant tout, sa passion est d'écrire. Mais la vie a fait qu'elle a plutôt mijoté des textes sur la cuisine, s'attachant notamment à la mythologie et à la symbolique culinaires. Car, pour elle, les mots saveur et savoir ayant la même filiation étymologique, puisque saveur (qualité perçue par le sens du goût) vient du verbe latin sapere, qui a d'abord voulu dire avoir du goût, exhaler une odeur, sentir par le sens du goût, avant de signifier, de manière plus figurée, avoir de l'intelligence, du jugement, connaître, comprendre, avoir la connaissance, nourritures terrestres et nourritures spirituelles sont indissociables.
Même la légende le dit : le pommier du jardin d'Éden n'était autre que l'arbre de la connaissance. Goûter le fruit défendu, c'était donc avant tout sauver l'humanité de l'ignorance et de l'inculture. Or, légende signifie «qui doit être lu» ! On le voit, elle aime aussi décortiquer et cuisiner les mots jusqu'à ce qu'ils expriment tous leurs sucs et qu'ils révèlent leurs saveurs cachées. Aussi, au fil du temps, ses livres sont-ils de plus en plus culturels et décalés. Le plus emblématique d'entre eux ? Testicules (éditions de l'Épure), déjà primé trois fois.
Extrait :
SIGNÉ BERTAGA
L'ascenseur hydraulique de la Maison Poulaga s'élève lentement, comme à sa poussive habitude. Quand il arrive enfin au bon palier, alors ses doubles portes claquent et la tornade Bertaga en sort. Bioutifoule ! Avec une robe mettant admirablement en valeur ses deux jambons de trente-cinq livres chacun, vu que le tissu de la partie juponnante est d'un rose charcutier qu'envierait n'importe quel jambonneau demi-sel, et que le corsage représente des odalisques - ou, pour mieux dire, des olidalisques - lascives, mollement étendues sur leurs couches ou au bain. Enfin, elle arbore un chapeau de style tyrolien garni de plumes de faisan faisandé, et une paire de boucles d'oreilles qui représentent chacune un perroquet vert pomme sur son perchoir. Pour couronner le tout, elle s'est maquillée avec un rouge à lèvres couleur violine-marronnasse qui lui fait une bouche semblable à un tronçon de boudin dans lequel on aurait déjà mordu.
Planton de service, le brigadier Poilala, moustache en brosse et képi vissé sur un crâne aussi vide que le préservatif d'un éjaculateur précoce qu'aurait même pas eu le temps de l'enfiler, en reste comme deux ronds de flan.
«- Madame Berthe !
- J'vous prillerai d'm'appeler Mâame Bérurier, Que je suce, on na pas gardé les cochons zensemble.
- Bien M'dame ! En quoi que je puisse vous aider ?
- Si j'sus là, c'est parce que j'viens voir M'sieur le commissaire principal Santantonio soi-même en personne, et en chair et en os, pour porter plainte,
- M'dame Bérurier, M'sieur le commissaire est absent, n enquête sur le terrain.
- Quel terrain ? Poilala, c'est-il que vous me prendrilliez pour une conne ? Terrain ? Tes reins, oui ! L'enquéquette, ça pour sûr ! J'le connais le beau commissaire de mes deux ! L'enquéquette ent' les cuisses d'une radasse et lui tamponne la raie culière ! Et qui c'est-il qui va z'enregistrer ma plainte, alors ? Passeque j'viens déposer plainte, figurez-vous-le-pour-dit.
- Et si M'sieur le commissaire de mes choses n'est point là, j'doive vraiment m'rabatte (de baise-bail) sur mon cochon d'mari ?
- M'sieur votre époux n'est pas là non plus.
- Quoi ? Comment ça ? l'est pas là non plus. Où c'est-il qu'il est-il, cet enviandé de poivrot ? Vous m'racont'riez pas des salades, Poilala, des fois ? Ça sent l'andouillette jusqu'ici.
- Fectiv'ment Mâame Berthe ! Euh ! M'dame Bérurier, pardon ! Le commissaire Bérurier est passé au bureau tout à l'heure, et il a casse-croûté deux andouillettes panées et un sandouiche aux rillettes. Mais il est parti depuis déjà z'une bonne demi-heure. Et d'après c'que j'en suce, à l'heure qu'il doive être, il doive questionner un témoin à son domicile.
Les informations fournies dans la section « A propos du livre » peuvent faire référence à une autre édition de ce titre.