Extrait :
LA VIE EST UN SONGE
La première fois que j'ai voulu mourir, j'avais sept ans. C'était pour suivre dans la tombe Wladimir, mon lapin nain, qui avait mis fin à ses jours en rongeant la prise électrique de la lampe halogène du salon. Tout ce que j'ai réussi à faire, c'est court-circuiter l'appartement, prendre une gifle par ma mère, détester le monde et les électriciens.
La seconde fois, c'était il y a cinq minutes, en sautant par la fenêtre de l'hôtel. Là aussi j'ai raté mon coup et j'ai atterri comme une merde sur le balcon du premier, en m'éclatant la cheville.
La mort et moi, on n'est pas sur la même longueur d'onde.
En fait, ce n'était pas vraiment un suicide. C'est juste qu'on frappait sauvagement à la porte de ma chambre en hurlant mon nom et que je n'avais pas d'autre issue que la fenêtre. La conséquence pathétique d'une malchance qui s'acharne contre moi. Depuis toujours.
Tout a commencé il y a une semaine, alors que je tentais de dormir et qu'un bruit lourd m'agaçait...
- Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?
Je me suis levée, la tête plombée par le manque de sommeil et l'abus de coke. Il faisait jour à travers les rideaux sales de la chambre et le bruit lourd se poursuivait. Entêtant, sournois.
J'ai passé une robe de chambre et j'ai ouvert la porte. Deux gamins, les gamins de Mamadou, à peine dix ans au compteur, jouaient au foot dans le couloir de l'hôtel.
- Z'êtes pas bien ?
Ils se sont arrêtés d'un coup, surpris.
- Excuse ! On savait pas que y avait encore quelqu'un.
- Vous n'êtes pas à l'école ?
- Non ! C'est mercredi.
- C'est pas une raison ! Vous dégagez d'ici. C'est pas un stade.
- Pas de problème.
L'un des deux gamins a pris le ballon et ils sont rentrés dans leur chambre en faisant claquer la porte.
Moi, je suis retournée m'effondrer dans mon lit.
Tac ! Tac ! Tac ! Mais ça trottait déjà... Je suis juste parvenue à m'énerver un peu plus. Ma pauvre nuit était finie.
J'ai tourné trois fois entre les draps et je me suis levée.
Dans la salle de bains, j'ai bu un verre d'eau, j'ai avalé mes hormones - cinq pilules mauves -, et je suis passée sous la douche. L'eau était à moitié froide. Je me suis habillée d'une jupe rouge et longue et d'un joli haut en velours Balenciaga que j'avais eu aux Puces, deux jours avant, pour une poignée d'euros.
Un coup de maquillage, un coup de brosse dans ma chevelure blonde, pour paraître. Enfin je suis sortie de la chambre minable de l'hôtel minable où je vis, en saluant au passage Boris, le proprio, à qui je devais encore une semaine. Je l'ai entendu derrière son comptoir.
- Mon pognon ! Mon pognon ! J'ai levé la main.
- Ça arrive ! Ça arrive !
J'ai filé au bar, en face, où je me suis installée en commandant un triple expresse Antoine, le garçon, m'a servi.
- T'as l'air fatiguée, Annabelle. Un grognement.
- J'en ai pas que l'air.
- Faut dormir, la nuit !
- C'est ce que j'essaie de faire, mais il y a toujours quelque chose qui m'en empêche. La guerre au Darfour, des bruits dans le couloir, quelques doutes métaphysiques.
Il a levé les yeux au ciel...
Présentation de l'éditeur :
D'un côté Annabelle, transsexuel crédule rêvant d'amasser un petit pécule pour enfin se délester d'un service trois pièces bien encombrant. De l'autre, Bernard Ozimi, Ed Wood du porno potager aux ambitions artistiques aussi délirantes que dangereuses lorsqu'elles se heurtent à un fervent défenseur de la dignité du poireau. Entre ces deux personnages, à priori peu de points communs si ce n'est un féroce sens du burlesque et un goût prononcé pour les embrouilles noires et dérisoires...
Anabelle n'a, en général pas de chance. C'est vrai qu'elle se lance dans tous les plans les plus pourris pour pouvoir, en Thaïlande, se payer l'opération qui va la faire passer définitivement de «il» en «elle». Une sacrée dose de volontarisme mélangée à une bonne pincée de naïveté ne vont pas lui suffire pour arriver à ses fins. Surtout qu'elle fait affaire avec, d'un côté, tous les aigrefins de la Porte de Montreuil et, de l'autre, sa propre famille, aussi coincée qu'une porte de prison. Alors il ne lui reste plus qu'à se comporter comme le «mec» qu'elle n'est presque plus.
Laurent MARTIN, né en 1967 à Djibouti, archéologue, libraire, enseignant, homme de radio et journaliste (il fonde, en 2006, la revue «Shanghaï Express») entre à la Série Noire en 2003 avec L'Ivresse des Dieux (n° 2640). Un regard aiguisé sur la douleur du monde et une brutalité de la critique sociale dégraissée par une écriture comportementaliste amusée, ne cachent pas la tendresse rêveuse propre au roman populaire néo-réaliste.
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