Extrait :
PAILLE AU NEZ
Huit ans ou presque qu'il n'a revu sa Corse natale. De la proue du bateau qui l'amène de Marseille, Napoléon n'a pas quitté l'horizon des yeux. Les côtes se détachent enfin. Puis apparaît le port d'Ajaccio. Rue Malherba, ce 15 septembre 1786, derrière les persiennes demeurées closes pour retenir la fraîcheur, la famille est en agitation. Letizia, veuve depuis l'année passée, dirige en italien et de main de maître les opérations. Elle reçoit son fils, la maison doit être impeccable, le couvert mis au cordeau, le repas succulent. Elle ne lui a rendu qu'une fois visite depuis qu'il a quitté l'île et l'a trouvé affreusement maigre, le visage émacié, encadré de longs cheveux plats venant accentuer sa pâleur. Il n'a pas changé. Il est si famélique. Et un peu trop petit, un mètre soixante-six seulement, même l'uniforme ne l'avantage pas. Un jour qu'il rendait visite aux Permon, des amis de ses parents, mère et filles éclatèrent de rire à le voir, ses jambes grêles dans des bottes militaires trop grandes. Elles l'avaient surnommé «le Chat botté». Il a quelques traits féminins qu'il conservera toute sa vie, et s'en flattera même auprès du docteur Antommarchi, à Sainte-Hélène : «Vous le voyez, beaux bras, seins arrondis, peau blanche et douce... Plus d'une belle dame ferait trophée de cette poitrine. Qu'en dites-vous ?»
Letizia est fière cependant de ce deuxième fils, promu à seize ans officier du roi de France, plus précisément lieutenant d'artillerie au régiment de La Fère à Valence.
Le père de Napoléon a fait jouer ses excellentes relations avec le marquis et général de Marbeuf, gouverneur de la Corse depuis la cession de l'île à la France par la République de Gênes en mai 1768, afin d'obtenir des bourses pour ses deux fils. Avocat, député de la noblesse, Charles Bonaparte a profité d'un voyage à Versailles, alors qu'il était chargé de présenter les doléances de l'Assemblée au Roi, pour les déposer le 1er janvier 1779 au collège d'Autun afin qu'ils apprennent le français. Joseph, l'aîné qui vient d'avoir onze ans, se destine à une école ecclésiastique, tandis que Napoléon, âgé de neuf ans, doit embrasser une carrière militaire. La séparation d'avec sa famille fut rude et l'intégration difficile dans ce nouvel univers exclusivement masculin. Napoléon, qui n'est encore qu'un enfant, a quitté un gynécée. Avec ses frères Joseph et Lucien, puis Louis né trois mois avant son départ, il a été élevé entre sa mère, ses grands-mères, sa tante maternelle, qui est aussi sa marraine, Gertrude, la soeur de son père, et les femmes qui participent à l'éducation des enfants Bonaparte, dont l'irremplaçable Saveria qui toute sa vie restera au service de Letizia. Le jeune garçon connaît aussi une douloureuse frustration : sa mère, une femme de tête qui lui fait peur même s'il l'admire, lui préfère visiblement Lucien de sept ans son cadet. Ce n'est pas tout. Napoléon qui a rejoint l'école militaire de Brienne en mai 1779, pauvre au milieu d'enfants de familles fortunées, doit subir les moqueries et les quolibets de ses camarades qui le surnomment «la paille au nez», dérivé phonétique de Napoleone : il est de petite taille et parle très mal français, avec un terrible accent. Il se replie sur lui-même, accepte la discipline très stricte de l'établissement, mais souffre que l'on porte atteinte à sa dignité. Très orgueilleux, il est sujet à d'énormes colères. À un professeur qui lui demande un jour pour qui il se prend, Napoléon répond du haut de ses onze ans : «Pour un homme !» Son père ne lui rend visite que deux fois, en 1782 et en 1784 lorsqu'il conduit sa fille
Marie-Anna (qui s'appellera plus tard Élisa) au pensionnat de Saint-Cyr créé pour les jeunes filles de la noblesse pauvre. Charles est déjà malade. Ils passent plusieurs jours ensemble. Napoléon, qui apprend que Joseph ne veut plus devenir prêtre, suggère à son père de lui faire étudier le droit.
Présentation de l'éditeur :
Napoléon Ier était un coureur de jupons : pas moins de cinquante maîtresses et deux enfants illégitimes, le comte Léon et Alexandre Walewski, sans tenir compte des rencontres d un soir. Sa propre mère, Letizia, aurait fauté avec Charles-Louis de Marbeuf. Sa première femme, Joséphine de Beauharnais, avait le sang chaud. Dans la fratrie des Bonaparte, il n est pas un cas isolé, et de loin. Ses sept frères et s urs étaient tous dotés d une libido débordante et d un solide appétit sexuel. Leurs frasques amoureuses défrayaient la chronique. Tant les filles que les garçons. Même Élisa, pourtant peu favorisée par la nature, enchaînait les conquêtes. Quant à Pauline, elle ne savait se contenter d un seul homme dans son lit. La reine Hortense, fille de Joséphine, n était pas en reste. Délaissée par son mari, Louis Bonaparte, elle trouvait à se consoler dans d autres bras. Son premier fils était peut-être de Napoléon, son troisième deviendra Napoléon III et son quatrième, illégitime et longtemps caché, sera le duc de Morny... Au fil de cette fresque familiale, c est toute l épopée napoléonienne qui défile.
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