Extrait :
L'EMBARQUEMENT
- Au voleur ! Vaurien, chenapan, attends un peu que je t'attrape ! Arrêtez-le !
Jean pressa le pas, sans se retourner. Il entendait derrière lui les cris du marchand auquel il venait de voler deux petits pains aux épices, dorés à coeur, et il n'était pas décidé à se laisser prendre. Diable ! La belle affaire pour ce bourgeois que deux malheureux pains ! À peine si cela se verrait, au moment des comptes. Tandis que pour Jean, et son estomac qui était vide depuis le matin, ça oui, ça ferait une sacrée différence ! Alors pas question de les rendre, ces jolies miches couleur de miel. Plutôt crever.
C'était d'ailleurs ce qui l'attendait s'il se faisait attraper avec son larcin en poche : se faire molester à mort ou jeter dans les prisons du roi, là où il y a des rats qui meurent de faim et qui vous grimpent le long des jambes, il paraît. À cette pensée, et tout en courant, Jean frissonna... À moins qu'ils ne décident de le punir sur place et de l'envoyer nourrir les poissons. Il n'osait pas se retourner. Combien étaient-ils à sa poursuite ? Le marchand, un ou deux sergents peut-être bien, voire un lieutenant de police et la maréchaussée, si ça se trouve, sûr qu'ils étaient tous après lui... Hop, un bon coup de pied dans le derrière, et fini le Jeannot ! Noyé, coulé, au fin fond de ce port de Pauillac. Pas même treize années de misère qui s'achèveraient d'un coup d'un seul sur ce quai, un soir de mars 1777, le 25 exactement.
Dans son dos, les cris redoublèrent. Jean essaya d'accélérer, mais ce n'était pas facile de courir sur un quai tout encombré de barriques et de ballots, avec en plus au bout des pieds, ces fichus sabots de bois, bruyants et pesants. Sans compter qu'il était repérable de loin, Jean. Il n'était pas bien grand, ni bien gras non plus, mais ses cheveux blonds et bouclés volaient au vent comme une bannière.
Soudain, Jean avisa un tonneau qui avait l'air moins plein que les autres. En un instant, le temps de vérifier que personne ne le voyait, il sauta dedans et rabattit le couvercle sur sa tête. Il était temps. Quelques secondes plus tard, il entendit arriver le marchand.
- Mais où qu'il est donc passé, grogna-t-il en soufflant. Fichu maraudeur, me chaparder mes petits pains tout cuits à point... Ah ! ces jeunes, quelle époque !
Un mot de l'auteur :
Nous sommes dans le sud-ouest de la France, dans la décennie qui précède la Révolution française. Le peuple a faim, il paie trop d'impôts et manque de liberté. Jean, modeste fils de charron, se retrouve embarqué malgré lui vers les Amériques et participe ainsi à la guerre d'Indépendance et à la fondation des Etats-Unis. Je le fais partir une première fois sur la Victoire, aux côtés de La Fayette, et repartir ensuite sur la fameuse Hermione, dont je suivais le chantier tout en écrivant mon roman, puisque cette frégate est reconstruite à l'identique à Rochefort depuis quelques années. Ce fut pour moi l'occasion de reprendre la mer, de recroiser des pirates, de me replonger dans l'ambiance du XVIIIème siècle, ce que je n'avais pas fait depuis mon roman Mary pirate.
Seulement voilà : j'avais un problème. Jean était parti, dans Les voiles de la Liberté, en jurant à sa petite soeur, Alix, de veiller sur elle. Et j'avais tant de choses à raconter, dans ce volume, de batailles à conduire, de mers à traverser, d'Indiens à rencontrer, de libertés à défendre, d'inégalités à combattre, et même d'amourettes à nouer, que je n'avais pas réussi à faire tenir sa promesse à mon personnage. Il fallait un second volume, consacré à la soeur : ce fut Le pain de la Liberté. Alix veut y faire son apprentissage en boulangerie. Il lui faut d'abord, pour cela, échapper à son ancien maître, aider un esclave à s'enfuir, survivre au jour le jour dans les rues de Bordeaux parmi les autres journaliers, adultes ou enfants, et, sur les traces d'Olympe de Gouges, vaincre les préjugés qui rivent les filles à des tâches subalternes.
Ella Balaert
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