Extrait :
Le mot «communisme» est marqué d'infamie. Pourquoi ? Bien qu'il indique la libération du travail comme possibilité de création collective, on en a fait le synonyme d'un écrasement de l'homme sous le poids du collectivisme. Pour notre part, nous le concevons comme la voie d'une libération des singularités individuelles et collectives, c'est-à-dire tout le contraire d'un enrégimentement des pensées et des désirs.
Les régimes collectivistes se réclamant du socialisme ont manifestement fait faillite. Cependant, la question du capitalisme demeure. Les promesses de liberté, d'égalité, de progrès, de lumière ont été trahies d'un côté comme de l'autre. Les organisations capitalistes et socialistes sont devenues complices ; elles ont conjoint leurs efforts pour déployer sur la planète une immense machine de mise en esclavage de la vie humaine sous tous ses aspects - ceux du travail aussi bien que ceux de l'enfance, de l'amour, de la vie, ceux de la raison aussi bien que ceux du rêve et de l'art. L'homme qui, naguère, faisait de son travail et de sa qualification une dignité se trouve, quelle que soit sa position, constamment menacé de déchéance sociale : chômeur, miséreux, assisté en puissance.
Au lieu d'oeuvrer à l'enrichissement des rapports entre l'humanité et son environnement matériel, il travaille sans relâche à sa propre éviction des processus machiniques.
Le travail et son organisation capitalistique et/ou socialiste sont devenus le foyer de toutes les irrationalités, où se nouent toutes les contraintes et tous les systèmes de reproduction et d'amplification de ces contraintes, qui parviennent ainsi à s'infiltrer dans les consciences, à proliférer dans toutes les avenues de la subjectivité collective. L'impératif premier de cette gigantesque machine d'assujettissement capitalistique est la mise en place d'un réseau implacable de surveillance collective et d'auto-surveillance capable d'interdire toute échappée à ce système et de colmater toute mise en cause de sa légitimité politique, juridique et «morale». Nul ne peut se soustraire à la loi capitalistique qui est devenue, par excellence, la loi de l'aveuglement, la loi des finalités absurdes.
Chaque séquence de travail, quelle que soit sa nature, est surdéterminée par cet impératif de reproduction des modes de valorisation et des hiérarchies capitalistiques.
Présentation de l'éditeur :
Il y a, dans Les Nouveaux espaces de liberté, livre rédigé à quatre mains au tout début des années 1980, une énergie rare qui contraste avec le recul de l'orientation révolutionnaire dans les années 1970. Ici, aucun recul - aucune «mort du politique», comme on disait beaucoup alors ; au contraire, une volonté d'affirmation réitérée et réorientée. Affirmation politique. Laquelle prend appui sur mai 1968, tenu comme l'élan non démenti pour une exploration personnelle et sociale de nouvelles subjectivités collectives.
Politique qui demande d'en passer par la critique de ce que les auteurs désignent déjà comme le «Capitalisme Mondial Intégré» aussi bien que par l'analyse de l'échec des luttes de classe ; de l'échec, a fortiori, de ce qu'ils appellent ici la «césure» désastreuse, «la plus profonde et la plus folle» : celle du terrorisme. Le livre se termine par des «propositions pour vivre et penser autrement» que l'on peut regarder comme un programme politique qui intéresse l'époque dans laquelle il a été écrit ; qui intéresse la nôtre aussi bien, vingt-cinq ans plus tard. Nous donnons en annexe trois textes qui le complètent : «Des libertés en Europe» de Félix Guattari ; la «Lettre archéologique» et l'importante postface à l'édition américaine (1990) de Toni Negri.
Félix Guattari (1930-1992), philosophe et psychanalyste, est l'auteur de plusieurs livres en collaboration avec Gilles Deleuze, parmi lesquels, notamment : L'Anti-Oedipe (1972) et Mille Plateaux (1980). Chez Lignes ont paru : Écrits pour l'Anti-Oedipe et 65 rêves de Franz Kafka.
Toni Negri est né en 1933. Il est notamment l'auteur, avec Michael Hardi, de L'Empire (Exils, 2000). Il a contribué au collectif L'Idée du communisme (Lignes, 2010) et fait récemment paraître Spinoza et nous aux Éditions Galilée.
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