Extrait :
Extrait de la préface de Alain Quella-Villéger et Bruno Vercier
Une moderne tragédie
«Pêcheur d'Islande est à mon sens parfait», s'exclame l'écrivain nord-américain Henry James, après l'avoir refermé, à sa parution, en 1886. Pourtant, l'intrigue, située vers 1883-1884 dans le port breton de Paimpol, peut apparaître simple : un amour impossible entre Gaud, la belle Parisienne, fille d'un riche commerçant, et Yann, l'altier et sauvage pêcheur de Pors-Even. Ils se rencontrent lors d'une noce, mais Yann, absent pendant les longues saisons de pêche, semble fuir la jeune fille lorsqu'il la rencontre à nouveau.
De par son humble extraction et son refus de tout engagement matrimonial, il ne saurait lier son sort à celui d'une citadine bien née. Si l'obstacle de la différence sociale est levé avec la mort du père de Gaud, désormais ruinée, la timidité et la pudeur de celle-ci font encore écran. Mais Yann les vaincra et se décidera enfin à la demander en mariage. C'est toutefois compter sans la présence envahissante de la mer, personnage à part entière qui aura le mot (le mort) de la fin.
Loin d'avoir mis un terme, comme il l'avait annoncé, à son «histoire de Bretagne et de mer» en composant Mon frère Yves quelques années plus tôt, Pierre Loti, avec Pêcheur d'Islande, signe un nouveau grand roman breton et maritime.
«C'est un chef-d'oeuvre», juge Maxime Gaucher dans La Revue bleue (3 juillet 1886). Un autre critique, Jules Lemaître, s'inquiète presque : «Les plus grands chefs-d'oeuvre de la littérature ne m'ont jamais ému de la sorte.»
Ernest Renan n'est pas moins enthousiaste : «Les pêcheurs d'Islande sont mes cousins et arrière-cousins [...]. Vous les avez peints à merveille.»
L'invention de Paimpol
C'est Loti qui a «inventé Paimpol». Il lui donna un destin littéraire que d'autres ports de pêche, tels Boulogne ou Dunkerque, pourront lui envier.
De la même façon que Zola, l'année précédente, avait donné à voir le monde de la mine à travers Germinal, Pierre Loti, dans Pêcheur d'Islande, fait connaître une réalité maritime insoupçonnée : le grand nord atlantique. Lorsque son roman paraît, cette pêche hauturière, amorcée en 1852, connaît un grand essor : cinquante-quatre navires paimpolais arment pour l'Islande - quand les autres ports bretons sont, pour la plupart, tournés vers Terre-Neuve - et ils seront jusqu'à quatre-vingts en 1895, avant que leur effectif ne diminue au début du XXe siècle.
Pêcheur d'Islande n'a rien d'un ouvrage documentaire, même s'il est très bien informé 2. Loti développe ici ses talents éprouvés de reporter, qu'il a notamment manifestés dans son oeuvre dessinée. À le lire, on sent l'odeur acre de la saumure, on éprouve la dureté des journées de travail parfois longues de quinze heures, on compatit au sort d'une recrue que le capitaine n'a pas hésité à faire boire pour lui extorquer son engagement.
Certes, on ne trouvera pas les mille dangers quotidiens qui guettent le pêcheur (l'hygiène douteuse, l'alcoolisme, les blessures, le scorbut) et l'on n'y cherchera pas non plus un traité étudiant les aspects économiques et juridiques de cette aventure. Mais là n'est pas l'objet de cet hymne au dépassement et à l'Océan.
Présentation de l'éditeur :
Traduit en des dizaines de langues, paru en 1886 et accueilli avec ferveur, Pêcheur d'Islande est le plus célèbre des livres de Pierre Loti. Mais se rappelle-t-on bien la force de ce roman de l'amour impossible ? C'est une véritable tragédie de la mer qui s'y joue. Elle s'ancre dans la peinture réaliste et fantastique d'un métier rude et d'une Bretagne âpre, le pays paimpolais. Sa violence fait écho à de puissants paysages comme aux tourments de l'écrivain. Du grand art, épique, poétique, impressionniste, soulignent les spécialistes de Loti, qui apportent des éclairages neufs dans cette édition riche d'images inédites.
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