Extrait :
LE PAYSAGE SYMBOLIQUE
Nous sommes entourés de choses que nous n'avons pas créées et qui ont une vie et une structure différentes des nôtres : les arbres, les fleurs, les prairies, les rivières, les collines, les nuages... Pendant des siècles, elles ont été pour l'homme objets de plaisir aussi bien que de curiosité et d'effroi. Rêvées dans notre imagination comme un reflet de notre sensibilité, elles ont constitué à la longue une entité à laquelle nous avons donné le nom de nature, et c'est à travers la peinture de paysage que nous pouvons saisir les diverses formes qu'a pris notre sentiment de la nature. Sa naissance et son développement depuis le Moyen Âge constituent un cycle au cours duquel l'esprit humain a tenté une fois encore de réaliser une harmonieuse union avec le monde extérieur. Le cycle précédent, celui de l'Antiquité méditerranéenne, était si proprement lié à l'attitude essentiellement humaniste de l'esprit grec, que la nature n'y a joué qu'un rôle très secondaire. Les peintres hellénistiques qui eurent une vision très aiguë du monde sensible ont créé une école de paysagistes ; mais, autant que nous puissions en juger par les rares fragments qui nous sont parvenus, leur habileté à exprimer les effets de lumière se limitait en général à des intentions décoratives. Seules les fresques de l'Odyssée du musée du Vatican suggèrent que le paysage a pu être pour eux un moyen d'expression poétique, et encore, il ne s'agit là que d'arrière-plans, de digressions, comme c'est le cas pour les paysages du poème homérique lui-même.
Pourtant, le style impressionniste de la peinture antique convenait fort bien au paysage, et il en est demeuré des traces, dans toutes les oeuvres où le paysage devait intervenir, longtemps après que l'art classique eut disparu. Dans la Genèse de Vienne, qui fut exécutée à Antioche vers 1560, et où se manifeste de façon très curieuse la rencontre du monde antique et du monde chrétien, l'artiste, auquel on donne le nom d'illusionniste, exprime avec beaucoup de vérité son sentiment de l'atmosphère et de l'ensemble d'un paysage, bien que ses personnages aient l'aspect de rigidité formelle propre au style byzantin. Au ixe siècle encore, le Psautier d'Utrecht contient de nombreux motifs de paysages empruntés à la peinture hellénistique, et ses hachures impressionnistes manifestent un réel sentiment de la lumière et de l'espace. Il n'y a pas de meilleur moyen de saisir ce triomphe du symbole sur la sensation qui caractérise l'esprit médiéval, que de comparer les pages de ce psautier à la copie qu'en fit le moine Eadwine pour le monastère de Canterbury au milieu du XIIe siècle.
Présentation de l'éditeur :
En aucun cas il ne s'agit là d'un traité théorique sur la peinture ou les représentations du paysage, mais plutôt d'une promenade qui vise à faire réfléchir plutôt qu'à instruire ou à informer. L'auteur fonde sa réflexion sur quatre types de paysage : les paysages symboliques (le jardin symbolique de la Dame à la licorne), les paysages réalistes, les paysages fantastiques (ceux de Jérôme Bosch), et les paysages idéalisés, comme ceux de Nicolas Poussin.
Certains artistes sont traités plus en détails comme Constable, Courbet, Turner, Van Gogh.
L'immense culture de Kenneth Clark, et la beauté, la limpidité de son style nous permettent de voyager dans tous les paysages qui ont inspiré peintres, graveurs et enlumineurs, depuis les
feuillages des manuscrits du Moyen Âge jusqu'au vert bleuté de la montagne Sainte-Victoire, peinte et repeinte par Cézanne, en passant par les recherches sur la perspective et la couleur.
Tout au long de ce traité d'une érudition non tapageuse, le lecteur prend peu à peu conscience combien la nature reste une composante essentielle de l'histoire de l'art.
Kenneth Clark (1903-1983) a dirigé la National Gallery de Londres.
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