Extrait :
JEUDI DOUZE AVRIL
Le sang gicle
Il était une heure moins le quart le jeudi douze avril, la veille du jour international du malheur imaginé, et je venais de me trancher le bout du pouce gauche avec une scie sauteuse.
J'étais incapable de détacher les yeux de mon pouce, enfin, de ce qu'il en restait. De sa peau blanchâtre de fin d'hiver et de la matière rouge à l'intérieur. La chair. J'ai constaté avec lucidité que la coupe était relativement nette. C'était une bonne chose, non ? J'ai fouillé dans ma mémoire à la recherche d'expériences pertinentes, mais sans succès. Il n'y avait qu'un grand vide. Mes connaissances en membres tranchés étaient limitées. Le sang s'est soudain mis à gicler tel un petit geyser, rendant l'endroit tranché difficile à observer.
La scie est tombée par terre. Je l'avais peut-être lâchée ? À moins que je l'aie jetée ? Je ne me souviens pas. J'ai pris mon pouce dans ma main droite et j'ai serré très fort. Tellement fort que mes jointures ont blanchi. Une seconde a passé, puis encore une. Je voyais la scie se déplacer par terre, actionnée par les vibrations frénétiques de la lame.
Des points lumineux se sont mis à danser devant mes yeux comme la neige sur un écran de télé. Le premier filet de sang entre le pouce et l'index de ma main droite a immédiatement été suivi d'autres filets et ma main s'est lentement colorée en rouge. J'ai serré plus fort mais il n'y avait rien à faire. Le sang se répandait sur le plan de travail comme si quelqu'un le vaporisait de peinture rouge.
J'avais l'impression que mon estomac s'était soudain vidé de son contenu, que je me trouvais dans un ascenseur dont le câble s'était rompu et qui, au lieu de monter, tombait dans le vide. Il a fallu que je lâche mon pouce et que je m'agrippe au dossier d'une chaise pour ne pas perdre l'équilibre. J'ai ainsi donné libre cours au sang qui s'est mis à sortir en jets pulsatiles. La chemise amidonnée de la queue-de-pie de mon père s'est criblée de rouge. Merde. Mon père va être furieux.
Normalement ça doit faire mal. Pourquoi ça ne fait pas mal ?
Au même instant, une bombe a éclaté dans ma main.
Puis encore une.
Puis encore une.
La douleur était fulgurante. Soudain j'avais incroyablement mal.
J'ai essayé de respirer mais j'avais la gorge serrée, je manquais d'oxygène.
Présentation de l'éditeur :
Maya est une ado de dix-sept ans au caractère affirmé. Rebelle dans son comportement et dans son allure, elle se tient à l'écart de ses congénères. Seul Enzo trouve grâce à ses yeux. Elle vit avec son père, mais passe un week-end sur deux chez sa mère. Maya admire la beauté et l'intelligence de cette dernière, qui a toujours été quelqu'un d'insaisissable et de distant. Lorsqu'elle arrive chez sa mère le week-end où commence ce récit, elle trouve la maison vide. Cette disparition soudaine et inexpliquée fait naître chez elle une angoisse qui vient se mêler à toutes les questions sans réponses qui la minent depuis toujours. Par solidarité avec sa mère, mais aussi dans une tentative désespérée de se persuader que rien de grave n'est arrivé, Maya ne dit rien à son père et continue à vivre normalement, tout en menant son enquête.
De façon habile et dans une langue séduisante, Jenny Jägerfeld campe le portrait d'une ado attachante, compliquée, maladroite, sensible et généreuse. Ce sont ses sentiments, ses commentaires, son autodérision qui se trouvent au centre du roman.
L'AUTEUR
Jenny Jägerfeld est une auteur pour la jeunesse suédoise. Elle est psychologue de formation et a aussi étudié la philosophie et la sexologie. En 2010 elle est récompensée pour Här ligger jag och blöder (Mère forte à agitée) par le Augustpriset dans la catégorie enfants et jeunesse. Mère forte à agitée est son premier roman traduit en français.
Les informations fournies dans la section « A propos du livre » peuvent faire référence à une autre édition de ce titre.