Extrait :
Extrait de l'introduction
Politisation, dépolitisation, repolitisation : les reconfigurations des rapports entre culture et politique au niveau local
Comment les modes de politisation de la culture ont-ils évolué depuis le développement de l'action publique dans ce domaine au début des années 1960 ? De quelle manière cette évolution s'articule-t-elle aux transformations des rapports entre agents des champs culturel et politique ? Quelles sont les traductions de ce double changement sur les modes d'élaboration et les orientations des politiques culturelles ? Et finalement quels en sont les effets sur le mode de fonctionnement du champ culturel ? Telles sont les questions qui guident la réflexion proposée dans cet ouvrage. Avant de formuler les hypothèses que l'on souhaite envisager pour tenter d'y apporter quelques réponses, précisons l'angle sous lequel nous allons les aborder.
Les rapports entre culture et politique constituent, pour paraphraser Durkheim, «un phénomène tout moral qui, par lui-même, ne se prête pas à l'observation exacte ni surtout à la mesure» (Durkheim, 1986, p. 28). C'est afin de «substituer au fait interne qui nous échappe un fait extérieur qui le symbolise et étudier le premier à travers le second» (ibid.) qu'on abordera ces rapports d'un point de vue particulier et forcément partiel : celui des politiques culturelles locales en France. Nous nous situerons ainsi dans la perspective d'une sociologie historique des politiques culturelles, visant à restituer les relations effectives d'agents des champs politique et culturel en vue d'une offre publique de culture dont la production a des effets en retour sur le fonctionnement du champ culturel. Cette perspective se veut complémentaire de travaux qui, davantage focalisés sur les artistes et leur rapport au politique, n'accordent qu'une place secondaire à l'intervention publique. Elle se veut également complémentaire de travaux qui, symétriquement, abordent les politiques publiques de la culture du point de vue essentiellement interne des institutions ou de la «gouvernance», laissant au moins partiellement de côté leur inscription dans le fonctionnement du champ culturel en même temps que leurs implications proprement politiques (Vion, Le Galès, 1998 ; Saez, 2004a et 2004b ; Hélie, 2007).
On considère, avec d'autres, que «c'est peut-être à l'échelle des politiques locales que l'ambiguïté des relations entre art et politique se révèle la plus saillante pour l'analyse» (Dufournet et. al, 2008, p. 8). Nous avons ainsi privilégié une analyse localisée, dont les principes sont exposés plus en détail à la fin de ce livre. Rappelons simplement ici que, malgré les représentations communes persistantes, une part essentielle des politiques culturelles - et en tout cas de leur financement - se joue au plan local, et notamment municipal. Sans pour autant faire l'hypothèse d'un primat du «local» sur le «national», et en se dégageant du particularisme de tel ou tel territoire, l'analyse localisée constitue ainsi un complément nécessaire aux recherches conduites à d'autres niveaux (Dubois, 1999a). Ce choix a aussi ses raisons méthodologiques. Une telle analyse permet de saisir des groupes concrets - par exemple les bénévoles, militants associatifs et intermédiaires culturels constitutifs de ce qu'on a appelé les «nouvelles classes moyennes» (Bidou Zachariasen, 2004) - et non des collectifs agrégés dans des relations statistiques ; d'appréhender des individus dans la complexité de leur trajectoire sociale (un élu promu socialement et culturellement à l'occasion de son engagement politique, un artiste devenu gestionnaire) et non réduits à leur position statutaire ; de s'attacher à des alliances ou des conflits réels (mobilisation pour la création d'un équipement ou «affaire» entre un élu et un acteur culturel) et pas seulement à des rapports de force entre collectifs reconstruits pour les besoins de l'analyse. Il ne s'agit pas là d'un parti pris d'empirisme, consistant à privilégier «les rapports réels entre les choses» au détriment des «rapports conceptuels entre les problèmes», pour reprendre la formulation de Max Weber ; plutôt de la conception selon laquelle, en cette matière comme dans d'autres, on peut d'autant mieux construire sociologiquement les problèmes qu'on les saisit dans des situations qui les rendent directement observables empiriquement.
Présentation de l'éditeur :
Cet ouvrage éclaire l'évolution des rapports entre culture et politique depuis le début des années 1960. Il retrace pour ce faire les changements intervenus...› Lire la suite dans les systèmes de relation constitutifs des politiques locales de la culture. Les collaborations entre agents des champs politique, bureaucratique et culturel pour la promotion de l'intervention culturelle publique ont doté cette politique de structures et de logiques spécifiques qui l'ont progressivement autonomisée des investissements politiques qui en étaient à l'origine.
Au fur et à mesure de cette institutionnalisation, un partage des rôles s'est tant bien que mal instauré, confiant la définition des grandes orientations aux élus et réservant celle des programmes aux acteurs culturels. Dans le même mouvement, la mise en avant de finalités proprement culturelles (et notamment la sempiternelle " démocratisation de la culture ") a permis de formuler sinon des objectifs clairs, au moins des compromis relativement stables.
Ce double modus vivendi a été remis en cause depuis le milieu des années 1990. Les contraintes budgétaires ont notamment réduit l'initiative des acteurs culturels et, parfois, déplacé le centre de gravité des arbitrages culturels du côté des élus. Il est peu à peu devenu pensable que les politiques de la culture poursuivent d'autres fins que principalement culturelles, et soient mises au service du développement économique.
L'histoire retracée dans cet ouvrage à l'échelon local révèle ainsi une évolution beaucoup plus générale : la remise en cause concomitante des spécificités des politiques culturelles et de l'autonomie du champ culturel.
Vincent Dubois est professeur à l'université de Strasbourg et membre de l'Institut universitaire de France. Il a notamment publié La politique culturelle (Belin, 1999) et Les mondes de l'harmonie (La Dispute, 2009, avec J.-M. Méon et E. Pierru).
Clément Bastien est doctorant, et travaille sur le mécénat d'entreprise.
Audrey Freyermuth est docteure en science politique, elle étudie le traitement politique des questions de sécurité et l'intercommunalité culturelle.
Kevin Matz, doctorant, analyse l'essor du développement économique comme credo des politiques de la culture.
Tous sont chercheurs au GSPE-PRISME (UMR CNRS 7012) de l'université de Strasbourg.
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