Manifeste : La connaissance libère - Couverture souple

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9782365120258: Manifeste : La connaissance libère

Extrait

Extrait de l'introduction

La connaissance est une arme. Une arme à double tranchant. Les forts comme les faibles peuvent s'en emparer et la tourner à leur profit, même si le plus souvent, les dominants d'espèces diverses, assurés de leur autorité, bardés de titres et de reconnaissances, confiants en leurs mérites et en leur avenir, prétendent au monopole du savoir.
Et voilà certains d'entre eux qui, aujourd'hui plus que jamais, au nom des «lois de l'économie», nous imposent davantage d'inégalités pour restaurer les grands «équilibres». En voici d'autres qui, au nom des «expériences de l'histoire», assènent qu'il faut sans réserve s'en remettre aux experts de la Commission européenne, du FMI, de l'OCDE et puis attendre, toujours attendre. Quand d'autres encore, reproduisant les conformismes appris à Sciences Po ou ailleurs, façonnent à leur gré les débats publics, et s'en vont désigner les vrais coupables de la «crise» : les fonctionnaires, «trop nombreux», qui «alourdissent» la dette publique ; les chômeurs, «incompétents et immobiles», «paresseux ou profiteurs»; les «jeunes de banlieues», affreux, sales et méchants, qui feraient mieux de travailler à l'école (alors même que tout, à l'école, concourt à les éliminer) ; les salariés qui, définitivement, coûtent trop cher en «charges» aux entreprises ; les étudiants, les enseignants et les chercheurs, naturellement grévistes, «corporatistes» ; les immigrés qui ne veulent pas «s'intégrer» et devenir de bons pauvres.
Aux satisfaits qui ne trouvent rien à redire au monde tel qu'il est, car il les avantage, nous répondons qu'ils n'ont pas la science pour eux. Le prêt-à-penser dont ils s'autorisent pour interdire la mise en cause des positions qu'ils détiennent - souvent par héritage - n'est d'ordinaire que rationalisation de leurs dominations.
Au détour de tant d'enquêtes, c'est ce que montrent les sciences sociales : sociologie, histoire, science politique, ethnologie, économie politique, etc. Elles dévoilent comment les discours les plus entendus sur le bien commun masquent et légitiment les intérêts particuliers des puissants. Elles permettent de penser la société en termes d'inégalités et de rapports de force, matériels et symboliques. On voit quelles ressources d'analyse et quelles ressources critiques elles représentent, à quelles subversions elles invitent. Leurs concepts, leurs enquêtes, les actes de la recherche forgent depuis longtemps des instruments pour contrecarrer les arguments d'autorité, congédier le fatalisme, la résignation, et parvenir en cela à s'émanciper.
Mais aujourd'hui, de plus en plus, lorsqu'elles ne servent pas d'expertise aux pouvoirs, les sciences sociales sont rendues invisibles, interdites d'usage.
Résultat : on ne perçoit guère, dans l'espace public, que les conséquences de mécanismes sociaux, et non leurs causes. Ici des suicides, là des émeutes, là encore des agressions contre soi-même ou les plus proches, partout des soumissions, inexplicables puisqu'inexpliqués. Trop peu diffusés, les résultats d'enquêtes de terrain, qui établissent pourquoi les violences aux guichets des services publics augmentent, ou comment l'intensification des concurrences pour et dans l'emploi fait qu'insensiblement le métier n'a plus de sens, en même temps que se défont les solidarités anciennes entre salariés et entre générations, de sorte que les voisins (au travail, à l'école, dans les quartiers) semblent des menaces. Pour échapper à la culpabilisation que l'univers concurrentiel tend à accentuer, les sciences sociales offrent pourtant mille outils. Si elles étaient entendues, il serait plus facile de mettre en question les aliénations dans et par le travail, de même que la violence des routines bureaucratiques. Le seul avenir envisageable est-il l'entreprise généralisée ? Et le marché capitaliste constitue-t-il son cadre indépassable ? Les sciences sociales ne cessent de rappeler que ce que l'histoire a fait, l'histoire peut le défaire. C'est en cela qu'elles gênent et contrarient.

Présentation de l'éditeur

Un manifeste pour la défense des sciences sociales, nécessaires à la compréhension des crises économiques, sociales et politiques.

Sommaire

Introduction

Les sciences sociales arment la critique
Rien n'est dans la nature des choses : débusquer et critiquer les dominations
Genre et domination masculine
Les « jeunes » des classes populaires : vous avez dit « sauvageons » ?
Comprendre le jeu des mille familles
Déplacer le regard, bouger le curseur
Contre le rapt politique de la question de l'immigration
Tous politiquement égaux ?
Sciences sociales versus néolibéralisme

Les raisons de la colère
Haro sur la recherche et l'enseignement en sciences sociales !
Mise en faillite des universités et stérilisation des sciences sociales
Deux instruments de mise au pas : le financement par projet et l'évaluation permanente
L'insupportable dimension critique des sciences sociales
Censures et déformations
La « révolution conservatrice » dans l'édition
Contraintes et double jeu des médias

Contre-attaque
« Je » n'est pas neutre
Les preuves du terrain
Notre critique scientifique est politique
Un « Nous » de combat

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