Extrait :
Extrait de l'introduction
Le 16 septembre 2007, les contractors de Blackwater tuent 17 civils et en blessent 24 autres sur la place Nisour à Bagdad. Cet événement cristallise les critiques sur le retour des mercenaires sur des théâtres d'opérations militaires. En France, l'opinion publique et les observateurs avertis sont particulièrement sévères envers ces formes de «privatisation de la guerre», expression (en partie impropre) couramment utilisée pour désigner l'évolution observée en Irak.
Il faut mettre en lien cette réticence française avec deux observations connexes. La première est de rappeler que des Français ont déjà servi dans ces «armées privées» dans l'État anciennement baasiste. La seconde est de constater que notre vision est relativement marginale au sein des grandes puissances militaires (il est vrai que les armées françaises n'ont pas pris part à la coalition intervenue en Irak) et qu'elle relève d'une culture spécifique. Le rejet hexagonal des sociétés militaires privées (SMP) provient de l'attachement au soldat-citoyen ancré dans les mentalités depuis la Révolution française. Il est encore très puissant aujourd'hui car il a été réactivé par le souvenir beaucoup plus récent de l'intense activité des mercenaires français au cours de la guerre froide. Cette action a été symbolisée par la figure de Robert dit Bob Denard. Or, il meurt en cette même année 2007. On a pu y voir le symbole d'un passage d'un «mercenariat Beaujolais», artisanal et devenu anachronique, qu'il aurait incarné, à une nouvelle forme plus entrepreneuriale portée par les Anglo-Saxons.
En fait, le terme de «mercenaire» a toujours renvoyé à des réalités différentes selon les époques. La première est l'agrégation d'une troupe aux forces étatiques, comme les gardes de chefs d'État. Des Écossais à partir du XVe siècle et des Suisses à partir de 1616 assurent ainsi la protection des rois de France jusqu'en 1830. La situation des cadres français de la Garde présidentielle (GP) aux Comores entre 1978 et 1989 peut être rattachée à ce type de situation. L'histoire a également connu des formes entrepreneuriales : condottieri de la Renaissance, armées de Wallenstein ou Tilly pendant la guerre de Trente Ans. Dans d'autres contextes historiques, politiques et socio-économiques, ce sont des combattants assez comparables aux SMP et entreprises de services de sécurité et de défense (ESSD) déployées en Afrique dans les années 1990 ou en Irak au début du XXIe siècle.
Ces mutations sur le long terme rendent difficile la formulation d'une définition courte du mercenariat. Au sens premier, le terme latin mercenarius désigne un «soldat loué contre de l'argent» ou un «domestique que l'on paie». Aujourd'hui, nous dirions plutôt qu'il s'agit d'un prestataire de service qui met à la disposition de son employeur (étatique ou privé) une force armée. Cette définition très englobante ne fait pas de distinction entre des configurations pourtant très différentes. Elle laisse en creux la question de la participation de ces prestataires à des combats, des règles auxquels ils sont astreints, de leur degré de rattachement à une chaîne de commandement externe à celle de la troupe mercenaire... Ce flou s'explique par la définition très tardive dans le droit international. Elle se construit au cours de la période qui nous intéresse, du protocole additionnel aux conventions de Genève du 8 juin 1977 à la Convention internationale contre le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction de mercenaires, rédigée par l'ONU en 1989. Cet effort de mise en place d'une définition juridique du mercenariat indique ainsi une nécessité nouvelle de légiférer. Elle inclut une catégorie très restreinte d'acteurs, excluant une large partie du phénomène qu'elle est censée désigner dans l'imaginaire collectif. Nous verrons en quoi l'action des soldats de fortune français a motivé ces avancées du droit international.
Présentation de l'éditeur :
Début des années 1960 : en pleine décolonisation du Congo belge, la sécession du Katanga provoque un afflux de combattants étrangers. Parmi ces «Affreux» (comme les surnomme la presse), les Français sont les plus actifs. Ils entament une sorte d'âge d'or fait de coups de main et de coups d'État qui s'étendent sur tout le continent, et qui leur permettront de prendre entre autres le contrôle des Comores de 1978 à 1989. Jusqu'à la fin de la guerre froide, ces «chiens de guerre» servent clandestinement les intérêts d'anciennes puissances coloniales désireuses de conserver une forte influence en Afrique. Le chef des mercenaires français, Bob Denard, fait l'objet d'une intense médiatisation.
Pour la première fois, cet ouvrage analyse l'action de ces combattants de l'ombre mais aussi le rapport à l'argent et à l'aventure, ainsi que les hiérarchies internes de ce groupe. En croisant les archives françaises et étrangères, les archives privées de Bob Denard - inédites à ce jour - et de nombreux témoignages de première main, l'auteur nous plonge, loin des clichés, dans la vie quotidienne de ces hommes qui vont de conflit en conflit. Certains sont jeunes et politisés, d'autres des guerriers expérimentés. Plusieurs cultures et générations s'entrecroisent : les baroudeurs, les «corsaires de la République», les «gangsters».
Fers de lance de la lutte anticommuniste, relais des réseaux occultes de la Françafrique avant d'être désavoués par Paris, alternant fortune, gloire et défaites, ces «Affreux» ne trouvent plus leur place dans le monde post-guerre froide : leur modèle sera bientôt remplacé par celui des sociétés militaires privées de type anglo-saxon.
Maître de conférences à Sciences Po Aix, Walter Bruyère-Ostells est notamment l'auteur de Histoire des mercenaires, de 1789 à nos jours (Tallandier, 2011).
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