Extrait :
Prémices de désastre sur petit lit de verdure.
Mais qu'avaient-ils tous à vouloir partir en vacances en juin ? s'interrogeait Juliette, grande liane blond vénitien aux yeux bleu pâle, trente-huit ans - et fermement décidée à les faire durer deux ou trois ans, ce qui lui donnerait cinq-six ans pour se faire à l'idée de la quarantaine. L'institut de beauté mâlissime qu'elle gérait de main de maître pour le compte de son séducteur-séduit de patron, Vincent Castelnin, ne désemplissait pas. Juliette avait dû avancer les premiers rendez-vous à 8 heures du matin et ne fermait les belles grilles de cet hôtel particulier du VIIIe arrondissement que douze heures plus tard. Douze heures d'affilée à massager («masser», ça fait daté maintenant), désincruster, scrubber, palper, masquer, réhydrater, manucurer, pédicurer, dépoiler-mais-pas-trop, c'est long. L'institut pouvait se prévaloir de posséder un épais catalogue de clients fidèles, ce qui se faisait de mieux sur le marché parisien du mâle exigeant qui s'entretient. «Exigeant» résumait d'ailleurs à merveille sa clientèle. Des hommes pressés, convaincus à juste titre que leur look contribuait à leur succès, d'abord professionnel puis amoureux. Gigantesque point noir (sans jeux de mots) : les hommes ne cherchent pas la même chose que les femmes dans l'«esthétique», qui est surtout à leurs yeux un moyen d'affichage, de renforcement de ce qu'ils sont ou de ce qu'ils veulent paraître. Les arbitrages cruciaux se succédaient donc sur un rythme infernal. Ainsi, l'épouvantable stress de l'épilation des sourcils ressurgissait quinze fois par jour. Juliette en avait des sueurs froides dès qu'elle approchait une pince à épiler d'un visage, au point qu'elle avait abandonné les gels dépilatoires en goutte, qui n'offraient pas une précision au poil près. C'est tout dire ! Comment débroussailler les paillassons que certains portaient au-dessus des yeux et du nez, et qui leur donnaient un air simiesque un peu bas de plafond, creuser ou atténuer une ligne, avec à chaque fois le commentaire : «Pas des sourcils de folle, d'accord ?» ? Hormis ces incessantes difficultés, elle aimait la placidité sans mollesse de ses clients. Ils se laissaient tartiner, enduire, balancer des vapeurs d'huiles essentielles au visage, tourner, retourner, triturer sans l'assommer de questions, d'inquiétudes ni de digressions, partant du principe qu'elle était la professionnelle et savait ce qu'elle faisait. Tout juste avait-elle parfois des exclamations sur le mode «Oh, c'est vert», «Oh, ça sent bon», «oh, c'est rafraîchissant» ou «Ne me touchez pas le pli du genou (ou le gros doigt de pied), je déteste.»
Ce samedi-là, elle remonta vers 20 h 30 dans son bureau, épuisée, affamée, n'ayant avalé qu'une moitié de pomme et un sablé de la journée. Elle récupéra le portable abandonné sur sa table de travail. Un SMS, signé de Stéphanie, l'une de ses esthéticiennes, l'attendait :
«19 h 45, désolée Juliette, je fonce. Dernier client à l'ionisateur galvanique, salle 3. Reste l'hydratation, 20 heures. Mon fils transporté aux urgences : appendicite aiguë. Le week-end, bien sûr, top ! Mon mari déjà à l'hôpital.
Présentation de l'éditeur :
Parfois, le sort s'acharne. C'est ce que Juliette, la responsable d'un salon de beauté où elle chouchoute une clientèle masculine triée sur le volet, a dû se dire ce soir-là en entrant dans l'une des cabines de son institut de beauté : elle y découvre en effet des traces de sang suspectes. Pourtant, impossible de savoir si le client s'est simplement blessé - après tout, il a laissé un chèque ! ou s'il a été zigouillé sous l'ionisateur galvanique. Et la disparition de Stéphanie, l'esthéticienne, n'est pas pour rassurer Juliette : ce n'est pas son genre de quitter son poste sans en avertir Juliette. Son fils a-t-il vraiment été transporté aux urgences pour une appendicite ? Parce que Juliette, les histoires de cadavres, elle commence à en avoir plein le dos. Avec ses copines Emma, l'ancienne chauffeuse de taxi aujourd'hui propriétaire d'une flotte de limousines, Nathalie, l'ex-femme au foyer qui vit une seconde jeunesse avec Vincent, Charlotte la psy aux tendances alcooliques, Hélène, la chercheuse au caractère explosif, et Marie-Hortense-Dominique, la fleuriste amoureuse de son chien, ont déjà été mêlées à de sales histoires de meurtre. Et ça avait bien failli tourner au vinaigre. Alors, là, franchement, ce cadavre sans corps, c'est trop. D'autant que ça l'air de devenir à la mode de se faire occire à l'institut, et que Stéphanie n'a plus tellement l'air d'être l'employée modèle.
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