Extrait :
Le 28 juin 2012, Jean-Jacques Rousseau... dois-je écrire aura ou bien a eu trois cents ans ? Infirmité de l'écriture, si vivement dénoncée par Rousseau dans l'Essai sur l'origine des langues... La parole vive, qui suppose la présence, est authentique ; elle est vraie : si ceci était un entretien, nous saurions, vous et moi, que la date du 28 juin 2012 est encore à venir ou bien qu'elle est déjà passée ; mais l'écriture est artificieuse et notre relation, à vous qui lisez et à moi qui écris, n'est que faux semblant : elle n'a de réfèrent ni dans l'espace ni dans le temps.
Quoi qu'il en soit, c'est à la faveur de ce tricentenaire que Thierry Renard, éditeur à l'enseigne de La passe du vent, a conçu le projet de rééditer l'Essai sur l'origine des langues et m'a demandé d'introduire cet ouvrage, à moi qui ne saurais prétendre ni à la qualité de linguiste (c'est un métier...) ni à celle de rousseauiste (c'est une vocation...).
Il ne faut donc s'attendre ici qu'à une promenade en compagnie d'un simple lecteur, lequel n'emporte d'autres provisions que celles qu'il emprunte aux meilleurs critiques du fameux Essai. Ici, le plaisir du texte et une forme un peu naïve - mais assumée - d'essentielle sympathie, tiendront lieu parfois de raison démonstrative.
L'histoire de la réception de l'Essai sur l'origine des langues est celle d'une lente remontée vers la lumière.
Cet ouvrage, posthume et en un sens inachevé, a longtemps été classé parmi les écrits mineurs du philosophe. Il demeurait dans l'ombre du Second Discours, des Confessions et des Rêveries, du Contrat social, de l'Émile, voire de La Nouvelle Héloïse...
Sur bien des points, l'Essai se contente d'ailleurs d'emprunter les idées de penseurs tels que Locke, Warburton, Condillac, Maupertuis, Vico ou Duclos. Or, voici qu'il passe aujourd'hui pour l'une des oeuvres les plus originales de Jean-Jacques Rousseau - peut-être même pour l'une des clefs de sa pensée. De tous ses ouvrages, ce serait celui qui met le mieux en lumière le fil qui relie ses idées sur la morale, la politique, la linguistique, la musique etc. Grâce aux lectures pénétrantes de Jean Starobinski, de Jacques Derrida et de quelques autres, on sait aujourd'hui que ce qui se joue dans l'Essai, c'est quelque chose comme une «philosophie de Rousseau», pour reprendre le beau titre d'un colloque qui se tiendra (ou s'est tenu, n'y revenons pas...) les 8 et 9 juin 2012 à l'École normale supérieure de Lyon - assurément l'un des points d'orgue de «l'année Rousseau» en Rhône-Alpes et en France...
Bien qu'il apparaisse souvent étrange et déconcertant, ou peut-être à cause de cela, l'Essai nous éclaire sur l'unité de cette oeuvre et sur les contradictions qui la travaillent. Ces pages n'ont pas d'autre ambition que de le rappeler. Ce qui nous sera donné de surcroît, c'est la découverte de fulgurances et d'incomparables bonheurs d'écriture. L'Essai sur l'origine des langues, ou Rousseau au sommet de son art ?...
Quatrième de couverture :
Les travaux de Jean Starobinski montrent l'importance de l'Essai sur l'origine des langues dans la pensée de Rousseau. Cette oeuvre, rédigée entre 1753 et 1754, devait faire partie, de l'aveu même de Jean-Jacques, du Discours sur l'origine des langues, mais elle a mûri jusqu'en 1763, date probable de la copie reproduite dans ce volume et à laquelle Rousseau a apporté un soin très particulier. Elle reflète dix ans de sa pensée musicale et philosophique.
Pourquoi Rousseau a-t-il voulu se faire l'historien de l'origine des langues?
Parce qu'il avait le souci de l'avenir de la musique!
Il lui fallait apporter des arguments décisifs pour faire triompher les valeurs qu'il avait proposées en composant le Devin du Village et en écrivant la Lettre sur la musique française. Dans ses ambitions musicales, il avait été rabroué et blessé par Jean-Philippe Rameau. Au long de la guerre des pamphlets qui a prolongé la «querelle des bouffons», Rousseau avait été tour à tour l'offenseur et l'offensé. Il faut considérer l'Essai sur l'origine des langues comme l'aboutissement tardif d'une riposte. Rousseau l'a longuement différée, longuement mûrie, pour avoir le dernier mot.
Jean Starobinski
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