Extrait :
Extrait de l'introduction
IMAGES À VENDRE
Qu'est-ce qu'un peuple premier ?
Il nous vient des images. Souples corps nus coiffés de plumes, visages scarifiés, capes de peaux de bêtes, lèvres percées de labrets, cous distendus par des bijoux de bronze, chairs peintes, sculptées, parées, spectaculaires. Il nous vient des images de baignades, de courses, de pieds frôlant le sol ou bien frappant la terre, des images de maisons de palmes gigantesques ou de pavés de neige, de greniers pointus aux toits de tiges de mil, de feuilles fraîches cousues en forme de matrice. Armé d'un arc et de flèches, le chasseur honore l'animal qu'il va tuer, et lui demande sa permission avant d'en partager la viande ; le saumon sauvage à la robe argentée accepte de se transformer en cuivre étincelant ; après un bain, le vieux lynx au visage renfrogné devient un beau jeune homme. Les enfants jouent avec des perroquets dont ils arrachent les duvets colorés pour s'en faire des pendants d'oreilles ; une fille porte une guenon sur la tête, la queue gracieusement glissée sur l'omoplate. Il nous revient des images de paradis perdu, de liberté extrême, d'un monde où la Nature n'est pas séparée de nous.
La nudité, l'animal, la liberté, la Terre, mots-clefs de nos rêves d'origine.
Il nous vient des images de pauvres corps malades affalés sur le sol, regard flou, plein de fièvres, ventres gonflés, cheveux jaune paille - signe de dénutrition -, oeil purulent, les mouches sont dessus, il nous vient l'image de la plus grande misère. «C'était en plein hiver, il faisait très froid, la neige était dure et gelée et la rivière charriait d'énormes blocs de glace ; les Indiens, accompagnés de leur famille, emmenaient à leur suite blessés, malades, nouveau-nés et vieillards mourants. N'ayant ni tente ni voitures, ils ne possédaient que leurs armes et un peu de nourriture. Je les vis s'embarquer pour traverser le fleuve, je me souviendrai toujours de cet instant. Pas un cri, pas un soupir, le silence -leurs malheurs duraient depuis longtemps et ils les savaient sans remède», écrit Alexis de Tocqueville au XIXe siècle, en croisant à Memphis un groupe de Choctaws en guenilles. Il nous vient des images de l'enfer que nous avons créé en leur volant leurs terres, en déboisant leurs arbres, en souillant leurs cours d'eaux et en les réduisant. Cette liberté de paradis, nous l'avons écrasée en cinq siècles.
Exploitation, épidémies, dépossession, condoléances, mots-clefs des regrets d'origine.
Présentation de l'éditeur :
On disait autrefois «primitifs», «sauvages», ou bien «sans écriture». Aujourd'hui s'impose la dénomination «peuple premier», sans être adéquate.
Comment les définir ? Quelles leçons d'universalité nous donnent-ils ? Et qu'enseignent-ils de la condition humaine ? Quel avenir leur réserve le droit international ?
Catherine Clément répond à ces questions avec clarté, précision, enjouement, en rapprochant les récits des anthropologues, le regard des philosophes et la parole des indigènes.
Philosophe et romancière, Catherine Clément est responsable de l'Université Populaire du musée du quai Branly. Elle est l'auteur de nombreux ouvrages dans le domaine de l'anthropologie.
Les informations fournies dans la section « A propos du livre » peuvent faire référence à une autre édition de ce titre.