Extrait :
Extrait de l'introduction
«Raúl Dorra est poète, et sémioticien. Sémioticien quand il écrit de la poésie, et poète quand il fait de la sémiotique». C'est ainsi qu'Eric Landowski présentait cet auteur inclassable dont le livre que voici illustre de manière magistrale ces deux facettes étroitement imbriquées. Traité romancé et roman théorisé, La maison et l'escargot interroge et met en récit les diverses formes adoptées par la sensibilité dans son trajet vers la signification ; livre de théoricien et d'écrivain, il parle du corps en commençant par parler de lui-même, du discours en tant que corps. Cette écriture qui énonce et qui sans cesse s'énonce demande ainsi une double lecture qui mêle le plaisir esthétique à la réflexion théorique. Les deux versants de cet ouvrage déterminent à la fois sa richesse et sa complexité.
La maison et l'escargot, livre de théoricien. Sur l'horizon de la linguistique et des sciences du langage, ce texte aborde de manière nouvelle une problématique particulièrement prégnante aujourd'hui : l'implication du corps dans l'avènement du sens. On sait qu'une des originalités et une des forces de la linguistique française depuis Emile Benveniste est d'avoir marqué avec insistance le rapport entre la langue et le sujet parlant, à la suite des débats anciens sur la dichotomie saussurienne langue / parole, et de la déploration même que la linguistique n'ait jamais été qu'une description des phénomènes de langue et non, ce qu'elle devrait devenir, une appréhension de la parole humaine au plus près de son effectuation. Dans les Problèmes de linguistique générale, on lit cette déclaration programmatique :
Bien des notions en linguistique, peut-être même en psychologie, apparaîtront sous un jour différent si on les rétablit dans le cadre du discours, qui est la langue en tant qu'assumée par l'homme qui parle, et dans la condition d'intersubjectivité, qui seule rend possible la communication linguistique.
Suivant la voie ainsi dégagée, différentes perspectives pour une théorie de l'énonciation ont été ouvertes, à la fois divergentes et fécondes. Mentionnons, par exemple, le développement particulier qu'a connu la pragmatique d'origine anglo-saxonne avec les travaux d'Oswald Ducrot sur la «polyphonie énonciative», où l'énonciation est comprise comme l'événement que constitue l'apparition de l'énoncé. Ou les recherches d'Antoine Culioli qui, à travers l'analyse des opérations énonciatives que met en oeuvre le sujet, cherche à décrire l'activité de langage sous-jacente à la diversité des langues. Il remonte ainsi, à partir des données particulières, vers la généralisation des opérations, car ces données «sont les seules traces que nous ayons de cette activité à laquelle nous n'avons pas accès». En sémiotique, Jean-Claude Coquet prolonge les propositions de Benveniste en les articulant à la phénoménologie pour mettre en place une «sémiotique des instances énonçantes» qui se forment à la croisée de la perception, ancrage dans la réalité du monde, univers de la phusis, et de la prédication, inscription du sujet dans le discours, univers du logos. Bien d'autres orientations ont aussi vu le jour en analyse du discours comme en sémiotique, passionnantes et foisonnantes, mais toutes, même si elles le revendiquaient comme élément décisif et constituant, se sont arrêtées à l'orée du corps. Raúl Dorra le pénètre.
Présentation de l'éditeur :
«Moi ? Cet animal, c'est moi ?» Telle est la question que se pose, à la recherche d'une sémiotique du corps, le personnage de Cicéron imaginé par Raúl Dorra dans l'une de ses étranges fictions. Objet central de cet essai, l'«animal» insondable qu'est le corps propre subit une exploration minutieuse qui met en évidence le rôle des processus sensibles et somatiques dans l'avènement du sens. Traité romancé et roman théorisé, La maison et l'escargot interroge ainsi les diverses formes adoptées par la sensibilité dans son trajet vers la signification.
La maison et l'escargot, livre de théoricien. En prolongeant l'approche de la signification centrée sur le sujet - de Benveniste aux sémioticiens et linguistes contemporains -, il fait du corps le foyer complexe et multiforme d'un acte énonciatif. Il opère ainsi le passage, sans solution de continuité, d'une linguistique du sujet énonçant vers une sémiotique de renonciation corporelle.
La maison et l'escargot, livre d'écrivain. Pour entrer dans renonciation perceptive, cet ouvrage se donne pour tâche de la restituer par un travail exigeant et raffiné sur la langue. C'est ainsi que, dans cette remontée vers les sources sensibles de la signification, l'écriture littéraire parvient à approcher et à apprivoiser - ne serait-ce que de manière provisoire - cet «animal» signifiant.
Raúl Dorra, chercheur et écrivain, est Professeur de littérature hispanique et de sémiotique à l'Université Autonome de Puebla, au Mexique. Il y a fondé, en 1998, le Programme de Sémiotique et d'Études de la Signification, qu'il dirige. Auteur de nombreux ouvrages théoriques et littéraires, il centre sa réflexion sur le rôle du corps dans la construction de la signification et a notamment publié La retórica como arte de la mirada, 2002 (La rhétorique comme art du regard), Con el afán de la página, 2003 (L'ardeur de la page), et Sobre palabras, 2008 (Sur des mots).
Les informations fournies dans la section « A propos du livre » peuvent faire référence à une autre édition de ce titre.