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Les spectateurs de la vie: Généalogie du regard moraliste - Couverture souple

 
9782705684532: Les spectateurs de la vie: Généalogie du regard moraliste
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Extrait :
Extrait de l'introduction

DE SOCRATE AU SPECTATOR D'ADDISON ET STEELE

La présente enquête porte sur les origines d'un personnage dont l'histoire, s'écrivant à travers les âges, est pour ainsi dire consubstantielle à celle de la collectivité des hommes, et dont le destin est indissociable de l'aventure, depuis la nuit des temps, de l'homme en tant que passant sur la terre.
Dans les dernières pages de ce livre, nous le verrons entrer, l'an 1711, par la grande porte, dans la République des Lettres. Il déclinera son nom : Mister Spectator. Mister Spectator. Mais c'est un nom générique ! N'a-t-il donc pas de nom propre ? N'aurait-il pas d'individualité ? Il avouera ses parents : Mister Addison et Mister Steele. Il ne se connaît pas d'autres ascendants. Au reste, il se soucie de tout cela comme d'une guigne. Il a la société tout entière à observer. Non pas le monde entier : le monde n'est pas pour de bon «ouvert» encore. L'horizon se borne à l'Angleterre, et même, pour l'essentiel, à la bonne cité de Londres. Mais là, tout, absolument tout, sollicite son regard, rien ne saurait apaiser son avidité, sa boulimie de «spectacle».
Laissons pour l'heure Mister Spectator à sa dévorante passion panoptique. Il a tort de se désintéresser de son passé : il est peu de généalogies aussi riches. Il a tort de ne pas s'interroger sur son nom : il en est peu d'aussi lestés d'histoire et de mémoire culturelles. Contentons-nous d'ajouter que tout observateur se donnant aussi à observer lui-même - sujet se constituant en objet -, le Spectateur présente non moins d'intérêt par le témoignage indirect qu'il livre sur le regard que par les «choses vues» qu'il rapporte. Sa figure n'a en aucun cas pu se façonner par avancées et «progrès» constants, mais seulement par maturation laborieuse; autant par hésitations, essais, échecs que par conquêtes dures et infimes ; imperceptiblement, souvent subrepticement. La spiritualité, la philosophie, les sciences, la peinture, tout a nécessairement contribué à l'engendrer. La littérature qui, au seuil du XVIIIe siècle, lui accordera des lettres de noblesse et donnera son portrait, fonctionne une fois de plus d'une manière admirablement spéculaire, en procurant de tant de savoirs divers une synthèse privilégiée.
On l'a déjà compris : le spectateur qui va nous retenir n'est pas l'observateur en général; c'est le spectateur essentiellement - souvent uniquement - occupé à bien regarder et décrire ce que La Fontaine nomme de façon à la fois souverainement simple, banale même, et poétique : «les choses de la vie». Deux notations de Montaigne, que je n'hésiterai pas à redonner au cours de cette recherche, telle une basse continue, mettent en vive lumière la spécificité de ce spectateur de vocation (bien plutôt que de profession). D'autant qu'elles soutiennent toute la réflexion, je les grave au fronton de ce livre :
Notre vie, disait Pythagoras, retire [ressemble] à la grande et populeuse assemblée des jeux olympiques. Les uns s'y exercent le corps pour en acquérir la gloire des jeux ; d'autres y portent des marchandises à vendre pour le gain. Il en est, et qui ne sont pas les pires, lesquels ne cherchent autre fruit que de regarder comment et pourquoi chaque chose se fait, et être spectateurs de la vie des autres hommes, pour en juger et régler la leur.
C'est lui [Socrate] qui ramena du ciel, où elle perdait son temps, la sagesse humaine, pour la rendre à l'homme, où est sa plus juste et plus laborieuse besogne, et plus utile.
Présentation de l'éditeur :
Les XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles représentent l'âge d'or des «philosophes de la vie». «C'en est fini de toute cohésion», pressent non sans angoisse John Donne. De fait, la «cosmographie théologique», le «théâtre de l'univers» perdent leur prestige devant le «spectacle du monde» et le «petit monde» de l'homme, toujours explorés plus avant grâce aux progrès dans toutes les sciences, de l'astronomie à l'anatomie. À bien des égards, des «scrutateurs» comme Montaigne, Gracián, La Fontaine et les esprits de cette famille jusqu'à Nietzsche au moins, sont les précurseurs des existentialistes, les promoteurs du saisissant fragment littéraire, si bien accordé aux temps modernes.
Ceux que l'usage désigne de moralistes et que Montaigne, plus profondément, nomme les «spectateurs de la vie» observent avec une exceptionnelle acuité le retour de la «sagesse humaine» du «ciel [...] vers l'homme». Leur «lieu» n'est plus en surplomb, mais en retrait. C'est, comme le voudra Chamfort, par rapport au «théâtre du monde», la loge ; par rapport à la nature et à la condition humaines, c'est le cabinet d'étude du «naturaliste».
Placée non moins directement sous le patronage du Nietzsche de la Généalogie de la morale, la présente enquête reconstitue, dans une perspective résolument européenne et interdisciplinaire, la genèse du regard sur l'homme en son théâtre qui est au principe de toutes les «sciences humaines» de notre temps.

Auteur de La Bruyère (Droz, 1971), Le moraliste classique (Droz, 1982), Littérature et anthropologie (PUF, 1993), Frammento e anatomia (Il Mulino, 2004), Louis van Delft, professeur émérite à l'université Paris X, propose ici le bilan de quarante ans de recherches sur les «spectateurs de la vie» français et européens.

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  • ÉditeurHermann
  • Date d'édition2013
  • ISBN 10 2705684530
  • ISBN 13 9782705684532
  • ReliureBroché
  • Nombre de pages327

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