Extrait :
Passé composé vs passé simple
De quelques théories linguistiques sur les temps du passé
«Das Perfekt und das Imperfekt tranken Sekt.»
Christian Morgenstern, Die Galgenlieder
Ferdinand Brunot et Charles Bruneau écrivaient :
La mort du passé simple. Le parfait ou passé simple a cessé à l'époque moderne, d'être employé dans la langue parlée de Paris. Nous n'insisterons ici que sur les causes formelles de cette disparition. Il n'est pas douteux que la conjugaison du parfait n'ait été singulièrement compliquée : les formes analogiques sont, à toutes les époques, nombreuses et variées. Dans les parlers canadiens, où le passé simple subsiste encore aujourd'hui, j'ai observé, chez des sujets peu cultivés, une extrême fantaisie de conjugaison.
C'est une vieille querelle qui n'est vraiment pas récente et qui remonte même encore plus loin. En 1569, dans son ouvrage Traicté de la conformité du langage français avec le grec, Henri Estienne va faire la différence entre passé simple et passé composé et établit ainsi la règle des vingt-quatre heures : le passé composé est un passé plus proche par rapport au passé simple. Mais, écrit-t-il, «il y avoit un secret caché soubs cet aoriste, quant à son nayf usaghe, dont lui-mesme n'estoit point jusqu'à présent bien résolu».
Loin de la règle des vingt-quatre heures si cruelle au pauvre Corneille et prétexte à la Querelle du Cid, le passé simple est, toutefois aujourd'hui, inéluctablement remplacé à l'oral et à l'écrit par le passé composé, voire à l'oral par le présent, à tel point que, raconte Bernard Lecherbonnier dans un ouvrage récent, un inspecteur de l'Éducation Nationale a mal noté une enseignante, coupable à ses yeux, d'avoir enseigné à des élèves de cinquième les deux premières personnes du singulier du passé simple (seule la troisième personne serait permise). Déjà en 1909, le linguiste Antoine Meillet publiait un article au titre clairvoyant : Sur la disparition des formes simples du prétérit, c'est-à-dire le passé simple. Gérald Antoine, dans une interview à l'hebdomadaire «L'Express», il y a quelques années, déclarait à propos du célèbre final de L'éducation sentimentale : «Écart tout à fait impossible aujourd'hui. Et pourtant, quelle valeur entre les passés appliqués au geste, au mouvement, et l'imparfait de la contemplation immobile. En voilà de la syntaxe expressive.»
Pourtant, au début du XVIIe siècle, le grammairien Charles Maupas semblait avoir réglé une fois pour toutes le problème :
Le passé défini [simple] infère tousjours un temps piéça passé, et si bien accompli» qu'il n'en reste rien à passer. Pour cette raison il «requiert une prefixion et prenotation du temps. Ainsi : L'an mil cinq cens quatre-vingts et dix le Roy obtint victoire de ses ennemis. Pour ceste cause, le temps simple sert dans les récits d'histoire. Le passé indéfini vient en usage, lorsque nous signifions bien une chose passée, mais non si éloignée, que nous ne nommons point le temps quand elle est bien passée, ou bien, si nous le nommons, ce temps reste encore "en flux", il en reste quelque chose à passer.
Présentation de l'éditeur :
Étymologiquement, admiratio signifie étonnement, et le Grand Robert définit l'admiration comme un «sentiment de joie et d'épanouissement devant ce qu'on juge beau ou grand». Ce livre réunit toutes les joies de lire et d'apprendre que l'auteur a pu éprouver au contact de grammairiens, linguistes, poètes, rhétoriciens, de tous ceux qui pratiquent la langue, l'utilisent, la chamboulent parfois. Aussi se divise-t-il en trois parties : la première traite de la Langue, de ses règles et de ses normes ; la deuxième examine la parole, plus personnelle et intime, de certains poètes et écrivains ; la dernière enfin examine des oeuvres poétiques à proprement parler.
René Corona est chercheur à Messine, au Département des Sciences Cognitives, de la Formation et des Études Culturelles où il enseigne Langue et Traduction Française. Il a publié plusieurs articles, en italien et en français, concernant l'Histoire de la langue, la synonymie, la traduction et la poétique.
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