Extrait :
Extrait du prologue :
Beaucoup de lecteurs savent aujourd'hui qui a tué Roger Ackroyd. Un grand nombre, surtout parmi les amateurs de littérature policière, connaissent le procédé qui organise le roman d'Agatha Christie et peuvent fournir la réponse exacte : l'assassin est le narrateur. Les plus avertis sont même en mesure de donner son nom : le docteur Sheppard.
L'originalité du procédé a assuré à l'oeuvre un succès immense et en a fait un des romans les plus célèbres de l'histoire littéraire. La fortune du livre dépasse même les limites du genre policier. Il a ainsi été l'objet de nombreuses études en sciences humaines, qui ont pris appui sur lui pour traiter des problèmes théoriques qu'invite à poser la particularité de sa construction.
Si le roman assura immédiatement la célébrité d'Agatha Christie, il ne fit cependant pas l'unanimité à sa parution. Plusieurs critiques développèrent cette idée, reprise encore récemment, que la romancière avait enfreint, en faisant du narrateur l'assassin, un élément essentiel du pacte de lecture implicite qui lie l'auteur d'un roman policier à son public et qu'elle avait, pour ainsi dire, triché.
Curieusement, les admirateurs du livre comme ses adversaires se rejoignent sur l'essentiel : aucun ne songe à mettre en doute le point le plus important de toute l'affaire, à savoir la culpabilité du docteur Sheppard. Or, avant de se demander s'il est ou non légitime de dissimuler l'assassin derrière le narrateur, il paraît judicieux de régler cette question préalable et de se demander si le coupable est bien celui que l'enquête désigne.
Tel sera ici notre projet. Nous dégageant de l'opinion couramment admise suivant laquelle le meurtrier serait le docteur Sheppard, et tentant de nous frayer une troisième voie entre l'admiration et la réprobation, nous nous contenterons, n'acceptant aucune affirmation qui ne soit préalablement démontrée, de répondre à la question simple de savoir qui a tué Roger Ackroyd.
Car le succès du livre a son revers : la beauté esthétique du procédé tend à éclipser l'énigme policière. Fasciné par l'ingéniosité avec laquelle Agatha Christie a dissimulé la vérité, le lecteur risque de détourner son attention de la question criminelle et d'oublier d'examiner si la solution proposée est plausible. Or celle-ci est expédiée en quelques pages par un Hercule Poirot tellement heureux de son inventivité qu'il se soucie peu de revenir sur les problèmes innombrables que pose une énigme complexe.
Notre livre obéit donc à un premier souci qui est un souci de rigueur. Un roman policier, en tout cas quand il relève du genre dans lequel s'inscrit Agatha Christie, se doit d'obéir à une logique sans faille. Ce premier souci est lié à un objectif de justice. S'il devait s'avérer que le docteur Sheppard n'est pas l'assassin, c'est une erreur judiciaire qu'auraient causée Hercule Poirot et, à sa suite, tous ceux qui ont accepté sa solution sans protester.
Présentation de l'éditeur :
Même s'ils n'ont pas lu le chef-d'œuvre d'Agatha Christie, Le Meurtre de Roger Ackroyd, de nombreux lecteurs, surtout parmi les amateurs de romans policiers, connaissent le procédé qui l'a rendu célèbre et croient pouvoir affirmer l'assassin est le narrateur.
Mais est-ce si sûr ? Comment se fier à un texte où les contradictions abondent et qui s'organise autour d'un récit unique, celui du prétendu criminel ? Et qui peut dire qu'Hercule Poirot, dans son euphorie interprétative, ne s'est pas lourdement trompé, laissant le coupable impuni ?
Roman policier sur un roman policier, cet essai, tout en reprenant minutieusement l'enquête et en démasquant le véritable assassin, s'inspire de l'œuvre d'Agatha Christie pour réfléchir sur ce qui constitue la limite et le risque de toute lecture : le délire d'interprétation.
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