Extrait :
Éditorial
L'architecture antique entre Humanisme et Lumières
«Dès le seizième siècle, la maladie de l'architecture est visible; elle n'exprime déjà plus essentiellement la société ; elle se fait misérablement art classique ; de gauloise, d'européenne, d'indigène, elle devient grecque et romaine, de vraie et de moderne, pseudo-antique». En bon romantique, Victor Hugo n'aime pas les «classiques» et, à travers eux, l'imitation de l'antique, telle que la pratiquent les architectes depuis l'invention de l'imprimerie, cause de tous les maux. Plusieurs révolutions ont donné raison à l'auteur de Notre-Dame de Paris : au nom et en l'honneur de la «création», ni Vitruve ni Vignole ne sont aujourd'hui au programme des écoles d'architecture, sinon relégués dans le cadre secondaire, pour ne pas dire facultatif, de l'histoire de la discipline, c'est-à-dire d'une mémoire que notre temps n'a plus le temps ni le désir de méditer et de digérer. Pour le meilleur ? Marc Fumaroli rappelait récemment les vertus fondamentales d'un art de voir et de vivre les choses fondé sur la mémoire de notre culture, bien mal en point dans l'universel Barnum de l'art et de la civilisation contemporaines : «Inséparable de la poétique, cet art d'imiter tout en inventant, de trouver en retrouvant, d'être soi-même tout en s'inscrivant dans une tradition, d'être nouveau tout en restant ancien, a longtemps été la souche mère commune de la fécondité et de l'extraordinaire variété des formes selon les lieux et les temps, les nations et les langues de l'Europe». Ce «classicisme» des lettres, de la pensée et des arts a aussi déterminé quatre siècles d'architecture, de Brunelleschi concevant la coupole de Santa Maria del Fiore à Florence jusqu'à Pierre-Charles L'Enfant, auteur de plans pour Washington. De la Renaissance au Premier Empire, l'architecture s'est inspiré des modèles romains et grecs. Dans ce processus commun à tous les artistes la démarche des architectes est pourtant unique, car seuls ils disposent à la fois d'un legs concret et d'un traité complet : aux vestiges de la Rome antique le texte miraculeusement préservé du De architectura de Vitruve offre l'étrange miroir de ses mots qui troublent autant qu'ils éclairent. Les bâtisseurs peuvent ainsi s'inscrire dans une perspective qui relève à la fois de l'histoire des formes et de l'histoire des idées et ne pas avoir honte de se trouver à l'aise sur les épaules de leurs prédécesseurs pour voir plus loin qu'eux.
Rappeler l'importance de l'héritage et de la mémoire dans le processus de création, quel qu'il soit, pourrait être la première ambition de ce numéro de la Revue de l'Art. Mais ce serait sans doute peine perdue. Pour en rester dans le domaine de l'histoire de l'art nous souhaitons souligner que l'évidence de la référence à l'antique ne résout pas tous les problèmes liés à l'analyse des modalités de l'imitation, qu'elle se décline en imitatio ou mimèsis, reproduction fidèle ou recréation spirituelle. Comment les contemporains de Montaigne, de Molière et de Rousseau ont-ils regardé l'architecture antique et qu'ont-ils fait de leurs observations ? La réponse n'est pas plus claire que la question n'est simple. Surtout, elle n'a jamais été vraiment posée dans la longue durée des trois siècles qui mènent de l'Humanisme aux Lumières : trop de studieux de la Renaissance ne regardent pas au-delà de la mort de Henri IV, tandis que trop de spécialistes du Grand Siècle et du dix-huitième ont une fâcheuse tendance à oublier qu'il s'est fait et pensé bien des choses avant Mansart et Ledoux. Aussi le propos de ce numéro est-il de réunir des études relatives à toute la période «moderne» et d'apporter un éclairage original et légitime à des problématiques communes pour faciliter une vue d'ensemble plus pertinente.
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Présentation de l'éditeur :
Éditorial
Frédérique Lemerle, Yves Pauwels, Daniel Rabreau
L'architecture antique entre Humanisme et Lumières
Présentation
Alain Schnapp
L'architecte, les ruines et l'antiquaire
Études
Yves Pauwels
Philibert De l'Orme et les ruines antiques : l'architecte du roi et le chanoine de Notre-Dame
Pierre Gros
De Palladio à Desgodets : le changement du regard des architectes sur les monuments antiques de Rome
Frédérique Lemerle
D'un Parallèle à l'autre. L'architecture antique : une affaire d'État
Daniel Rabreau
Du «goût à la grecque» sous Louis XV à la perception d'une symbolique gallo-grecque
Notes et Documents
Carmelo Occhipinti
Le temple de la Sibylle à Tivoli du XVI au XVIII siècle
Louis Cellauro, Gilbert Richaud
Mesure et exactitude : le module d'Antoine Desgodets pour ses relevés de monuments antiques
Edoardo Piccoli
L'Antique pour un moderne
Sophie Descat
La ville antique et l'embellissement urbain au xvni` siècle : visions prospectives
Dominique Massounie
Les thermes, synthèse de la ville antique, ancienne et moderne
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