Extrait :
Quelle perte de temps ces mondanités ! Paul les exécrait. Hermione, elle, ne pouvait s'en passer. Tenu de l'accompagner, il subissait. Un temps, il avait espéré que les multiples troubles et l'inquiétude des aristocrates visés par la Terreur, la prison, la guillotine, la guerre, les écarteraient de ces futilités. Un temps seulement... Leur orgueil avait vite repris le dessus, sans doute pour nier ces vulgaires convulsions plébéiennes. Ils faisaient tous comme si... évitant de compter leurs morts, vivotant dans des pièces pillées et dévastées, sans doute mus par un orgueil excessif, gommant le réel, esquissant un pied de nez au peuple qui pensait les avoir à jamais anéantis. Lui qui, à son corps défendant, avait vu et subi à Paris les véritables exactions et crimes gratuits commis au nom de la liberté, de l'égalité et de la fraternité, formule reprise par Robespierre, ne pouvait les contester. Liberté ? On pouvait en douter. Égalité ? Voeu pieux, impossible à obtenir face à la diversité de la société et aux nombreux passe-droits. Fraternité ? Paul avait quelques difficultés à effacer les visions terribles qui le hanteraient jusqu'à la fin de sa vie. Comment oser parler de fraternité et se comporter en assassin, tuer des innocents parce qu'un voisin les qualifiait de suspects par jalousie ou vengeance ? À l'époque, Paul, étudiant, avait choisi de préparer ses examens de droit sérieusement et vivait dans une mansarde appartenant à Jeanne, la soeur de sa mère, quai des Grands-Augustins. Le climat était tel que chacun se tenait sur ses gardes. Sa tante lui serinait : «Ne fais confiance à personne et surtout, tais-toi.» La concierge de l'immeuble était-elle capable de le dénoncer sous un futile prétexte ? Sa façon de le regarder lui faisait trembler l'échiné. Après les affres de la Révolution et l'instabilité qui régnait dans la capitale, la prudence était de mise. La distance entre le Périgord et la capitale ne favorisait pas la rapidité des nouvelles. Elles leur parvenaient avec plusieurs jours de retard et chacun frissonnait à l'écoute de ces atrocités dont il avait, par bonheur, réchappé. Les sanglants massacres de Septembre avaient été le point d'orgue de l'horreur. On pouvait comprendre que ces aristocrates, cible préférée du peuple, cherchent l'oubli et s'étourdissent dans des futilités, comme si de rien n'était. 1792 était décidément une bien mauvaise année.
Tandis que Paul gravissait les marches qui menaient au perron de la demeure des Saint-Aubin, il secoua la tête, s'interdisant de revenir sur ces scènes obsédantes. En attendant que tout rentre dans l'ordre dans la capitale, il fallait vivre un quotidien qualifié, étonnamment, de normal par Édouard, son beau-père.
Parvenue sur le seuil, son épouse, Hermione, se retourna.
- Paul, pressez-vous. J'aimerais que nous entrions ensemble.
Cette voix ! Ah, cette voix, légèrement nasillarde et pointue, qui l'agaçait au plus haut point. Mais pourquoi l'avait-il épousée ? Une seule réponse s'imposait : parce qu'elle l'avait décidé et n'admettait aucune contestation. Pour être franc avec lui-même, il convint qu'il s'était laissé faire, entrevoyant une vie tellement plus agréable que celle qu'il menait, tributaire de la générosité paternelle. Sa mère, femme de bon sens, l'avait pourtant mis en garde : «Paul, il faut savoir rester à sa place. Tu commets une grave erreur de jugement. Cette union ne pourra pas durer. Il y a trop de différences entre vous.» Que ne l'avait-il écoutée ! Ébloui par le train de vie des Chevilly de Lonzac, où il ne se sentait point rejeté malgré ses origines roturières, il s'était laissé aller à l'euphorie. Et pourtant il se trompait. C'était par égard pour sa belle-famille qu'on le tolérait. Il ignorait que la plupart des gentilshommes se gaussaient de lui et plaignaient les Chevilly, obligés de supporter cette mésalliance. Hermione, habituée à ce que rien ni personne ne lui résiste, avait fait du chantage : si elle ne pouvait épouser Paul, elle s'enfuirait ou se pendrait ! Elle laissa entendre qu'elle était enceinte. Atterrés, ses parents avaient cédé, conscients que leur fille était capable de tout.
Présentation de l'éditeur :
Alors que la capitale bruisse d’un climat insurrectionnel, Paul, étudiant au collège Louis-le-Grand, hante les arcades du Palais-Royal et approche les esprits révolutionnaires. C’est un jeune Périgourdin, dégourdi et brillant, chez qui l’on repère très tôt un don pour le dessin. Mais la Révolution ne le laissera pas indemne. Témoin des exactions commises par chacun des camps opposés, Paul se sent démuni face à un peuple et des revendications qu’il ne comprend pas. A quelques années de là, invité dans un salon littéraire, le Cercle d’Auteuil, où l’on refait entre gens éclairés un monde plus civilisé, Paul parvient à s’entretenir avec le général Bonaparte. La Campagne d'Egypte se prépare. Repéré pour ses qualités artistiques, Paul est nommé assistant de Vivant Denon, qu'il accompagnera dans son parcours oriental.
Mais sur le chemin, un incident l'obligera à rester à Malte. Lorsqu’il rejoindra l’Égypte, plus tard, la découverte de cet étrange pays, entre Nil et désert, sera pour lui une révélation. Mais le désastre d’Aboukir et son attirance pour une belle Maltaise l’obligeront à faire des choix difficiles, et à affronter enfin son destin.
Ce roman aux rebondissements inattendus mêle le réalisme intimiste d’un Paris révolutionnaire et l’exotisme des grands voyages, des épopées qui changent une vie.
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