Revenants - Couverture souple

Lelorain,Patrice

Couverture souple

ISBN 10 : 2710330806 ISBN 13 : 9782710330806

Editeur : La Table Ronde, 2011

A propos du livre

Extrait :

Démarche ondulante qui embarque la tête dans une douce oscillation à contretemps, il va. De loin, je devine le pâle sourire posé sur l'ovale de son visage, le sourire d'un grand rêveur. Le voici à Bois-Colombes sortant de chez lui, le voici encore dans ses courbes sur un quai nu gare Saint-Lazare, ou se détachant de la houle humaine qui danse boulevard Haussmann, il vient, et juste à l'instant où je vais amorcer un petit signe amical, il s'efface, se métamorphose en une personne décevante dont les traits nouveaux m'indiffèrent.
Ces discrètes révérences ont débuté voici bientôt trente ans, quelques semaines après ma première apparition dans l'église arménienne de la rue Jean-Goujon où Monsieur V s'en était allé dans un nuage d'encens porté par le chant sublime de popes endiamantés.
A dire vrai, je ne pensais pas croiser Monsieur V tellement vite. Un salut de ma grand-mère, ou du jeune R, m'aurait moins surpris, et sans doute apporté plus de réconfort. Mais ma grand-mère était partie à l'heure et le jeune R de façon très choquante, fin commune ou odieuse au bout du compte, moins féconde que la disparition simplement douloureuse et prématurée de Monsieur V qui vivant ne me semblait pas si proche. On ne choisit pas ses revenants. «Tiens ! Voilà Monsieur V», lançait souvent mon père aux alentours de 13 h 30 en cassant le dernier morceau de pain qui toujours finissait son repas, et mécaniquement mon regard se faufilait entre les colonnes du balcon de la salle à manger pour suivre la silhouette aux épaules roulantes qui s'effaçait en douceur dans la pente du long escalier de la «petite gare» de Bois-Colombes. Si mes parents pratiquaient la dentisterie juste en dessous de l'appartement familial, Monsieur V, coupeur chez un célèbre tailleur de la Madeleine, rentrait déjeuner par souci d'économie. Bien qu'une grande partie de sa pause se consumât dans son itinéraire, Monsieur V ne cédait jamais à l'agitation, adaptant son timing à son caractère, tel un flâneur éclairé, le pas vague mais vif, cravate un peu lâche, son oeil tendre voilé par la fumée de cigarette, il filait vers son labeur comme par mégarde.
Vers 18 heures Monsieur V revenait pour de bon, descendant en queue de train pour remonter par la grande gare qui faisait face au deux-pièces-cuisine-cagibi qu'il habitait avec sa femme et ses deux fils. Dans le cagibi aménagé en atelier Monsieur V débutait alors sa seconde journée, comme tailleur à son compte, assisté de Madame V qui assumait coutures et finitions. Ce travail d'appoint, dédié à ses fils, mais sans doute encore un peu à sa mère et à sa jeune soeur dont il s'occupait depuis l'enfance, était autant un sacrifice qu'un motif de fierté car Monsieur V, en plus d'une main talentueuse, exerçait un goût très sûr, dispensé en conseils feutrés, qui guidait ses divers clients dans le choix de la coupe, des étoffes et du coloris. Ainsi, manches retroussées et en bretelles, l'estomac un peu tendu à l'aube d'une cinquantaine grisonnante et dégarnie, depuis son réduit opaque, empli d'une fumée qu'il assurait ne pas avaler, propos repris d'un ton fébrile par Madame V, «mon mari n'avale pas la fumée», Monsieur V posait-il sur les notables de Bois-Colombes, qui tous ne la méritaient pas, une touche de classe.

Présentation de l'éditeur :

«Pourquoi nos grands frères nous étaient-ils étrangers ? Où puisaient-ils leur sérieux ? Dans les relents de la guerre qui pour nous n'était qu'une épopée hollywoodienne, dans leur statut d'aînés, dans Mai 68 que de loin nous avions confondu avec le sésame de vacances éternelles ?»
De Bois-Colombes à Paris, des Sables-d'Olonne à Stockholm, Patrice Lelorain met en scène la génération post-68, celle des silences et des non-dits, des causes incertaines, des gloires éphémères, des amours plurielles. Une génération perdue, qui a le rock pour bannière.
Peuplé de fées désenchantées et de princes sans royaume, Revenants est une fresque underground, un roman choral écrit au cordeau.

Patrice Lelorain a passé son enfance à Bois-Colombes. Après quelques expériences scénaristiques décevantes, il acquiert la conviction, en 1989, lorsqu'il écrit d'un seul jet La Légende de Muhammad Ali, que c'est à travers l'écriture qu'il affirmera son univers. En 1996, avec son troisième ouvrage, Paris Section Urbaine, il remet les chroniques à la mode. Il a publié en 2008 à La Table Ronde Quatre Uppercuts, Prix de la nouvelle de l'Académie française.

À propos de cette édition

• Éditeur: La Table Ronde
• Date d'édition: 2011
• ISBN 10: 2710330806
• ISBN 13: 9782710330806
• Reliure: Broché
• Nombre de pages: 368