Extrait :
Extrait de l'introduction
«Grimod de La Reynière fut le plus gourmand des lettrés et le plus lettré des gourmands.» Comment mieux résumer le fondateur de la chronique gastronomique et de la littérature gourmande sinon par ces mots de Charles Monselet, cet autre «roi des gastronomes» ? Mais Grimod de La Reynière n'en demeure pas moins un anticonformiste qui cultivait avec méthode l'insolence et le paradoxe, un mythe vivant, en somme un Diogène moderne.
Réels ou inventés, ses exploits furent peut-être une façon de se venger d'une infirmité congénitale dont il tenait ses parents pour responsables. Il vint au monde avec une main en forme de griffe et l'autre en patte d'oie, que son père fit appareiller à l'âge adulte de doigts artificiels dissimulés sous des gants blancs, de telle sorte qu'il pût manier la fourchette et la plume, et réussir même à dessiner.
Rejeté par sa mère, qui voyait en lui un reproche vivant, le jeune Grimod souffrit tout autant de l'indifférence de son père, homme lâche et trompé. Est-ce en glissant Balthazar parmi ses autres prénoms, Alexandre et Laurent, que ses parents défaillants le prédestinèrent aux fastes de la bombance, réitérant ainsi un irrépressible penchant familial pour la bonne chère ? Car ce fils unique, rejeton d'une lignée de richissimes financiers, eut un grand-père réputé pour sa gloutonnerie, qui finit par mourir d'indigestion - la légende le dit étouffé par un pâté de foie gras ! -, et un père qui, après avoir obtenu la survivance de la charge de fermier général, se distingua par des festins somptueux très prisés par les gens de cour, parasites insupportables ne se privant pas de répandre à l'envi : «On le mange, mais on ne le digère pas.»
Bien qu'avocat au Parlement de Paris et critique dramatique, fou de littérature, c'est essentiellement comme amphitryon que Grimod se fait d'abord connaître.
En 1782, à tout juste vingt-quatre ans, il fonde la Société des mercredis, association de bons vivants composée de dix-sept membres - chiffre symbolique utilisé dans les rituels de certaines sociétés secrètes -, dix-sept membres, donc, voués à l'expérimentation de plats nouveaux au cours de dîners qui se poursuivirent jusqu'en 1786.
Deux ans plus tard, Grimod instaure les Déjeuners philosophiques, dits semi-nutritifs, agapes fraternelles, plus frugales celles-là, données le mercredi et le samedi. Elles réunissaient des écrivains comme Beaumarchais, le poète André Chénier, Rétif de la Bretonne, Louis-Sébastien Mercier et quelques comédiens de renom, auxquels il imposait impérativement l'absorption de dix-sept tasses de café avec des tartines beurrées pour soutenir la qualité des échanges littéraires sur les dernières parutions.
Rétif de la Bretonne raconte comment le souper extravagant qu'il donna le 1er février 1783 contribua au succès de ses Réflexions philosophiques sur le plaisir. Une petite brochure, non point sur les plaisirs de la table, mais sur ceux de la chair, émaillée de réflexions vertueuses sur le mariage et le célibat, dont l'insupportable misogynie s'explique par sa recherche souvent déçue de la compagnie des femmes, en particulier des actrices :
«Le but de cet ouvrage étant de rendre les femmes meilleures et les hommes plus sages, il est bon d'apprendre une fois pour toutes, à ceux qui feignent de l'ignorer, que le censeur des femmes n'en est point l'ennemi et qu'on peut n'être pas libertin sans s'exposer à passer pour pis encore.»
Présentation de l'éditeur :
Prince des épicuriens, Grimod de La Reynière (1758-1838) a élevé la cuisine au rang des beaux-arts. Les repas qu'il organisait sont devenus légendaires grâce aux récits de ses contemporains, qui n'ont pas hésité à les assaisonner d'un peu de fiction pour ajouter à leur pittoresque. On sait moins que Grimod fut aussi un redoutable théoricien de l'art de bien recevoir. En témoigne Variétés gourmandes, choix de textes extraits du Manuel des Amphitryons (1808), de l'Almanach des Gourmands (1803-1812), encore largement inédit, et du Journal des Gourmands et des Belles (1806-1807) qui n'a jamais fait l'objet d'une réédition. Une sélection des somptueux menus qu'il avait établis en fonction des saisons complète cette délectable anthologie.
Auteur de D'Annunzio et la Duse, les amants de Venise (Stock, 1994) et d'anthologies de textes érotiques, Claudine Brécourt-Villars a publié au Seuil Mots de table, mots de bouche, réédité dans La Petite Vermillon en 2009.
Professeur de lettres à Paris, Claudine Brecourt-Villars s'est d'abord intéressé à l'histoire de l'érotisme avant de se passionner pour la gastronomie à travers les âges. Elle est l'auteur de Mots de table, mots de bouche (Seuil, réédition la petite vermillon, 2009).
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