Extrait :
Extrait du prologue
- On ne me prendra pas Beyrouth !
L'homme vient de fêter ses quatre-vingts ans, mais il parle avec la fougue de ses vingt ans. Dans cette vieille maison, au coeur de la montagne libanaise, assis sur son lit, vêtu d'un pyjama rayé, il me regarde sans me voir. Il a les cheveux taillés en brosse, le visage allongé, le front haut, le nez droit. Il a dû être beau. Il s'exprime avec force et clarté, dans un français châtié, mais en roulant les r. Sa mémoire est prodigieuse, capable de reconstituer dans le détail tous les événements dont il a été le témoin ou que ses proches ont connus. Point de digressions dans son récit : il sait où il va, même quand il s'attarde sur des souvenirs d'enfance qui nous éloignent de notre propos. Il n'invente pas, ou si peu, émaille ses histoires d'interrogations, de dictons, de pensées érudites. Sur une étagère, à côté d'une statuette représentant la Vierge de Harissa, trône un appareil photo portant la marque Rolleiflex. Au mur, une photo de famille encadrée, représentant un couple et trois enfants : deux garçons et une fille.
En tâtonnant, il ouvre le tiroir de sa commode, en sort un coffret contenant des documents et des photos jaunies.
- Toute mon histoire est là, me dit-il en tapotant la cassette. Quelques clichés, les éphémérides de mon grand-père, le carnet de mon père, deux ou trois lettres, c'est tout. Je n'ai pas tenu de journal (la tâche est fastidieuse !), sauf en 1945 et en 2000 - deux années charnières du siècle passé. Je te les confie : je sais que tu en feras bon usage.
Il lâche un long soupir, puis continue :
- Rizkallah ! La majeure partie de mon existence, c'est place des Canons que je l'ai passée. Cette place était unique au monde ; elle symbolisait le pays. Les Libanais, toutes confessions ou classes confondues, se retrouvaient là : les chrétiens y côtoyaient les musulmans et les juifs ; les riches, les pauvres. A présent, il n'y a plus rien : la place des Canons a disparu !
Monsieur Philippe dit vrai. Ce matin, avant de me rendre chez lui, j'ai essayé en vain de reconstituer la place des Canons - connue aussi sous le nom de place des Martyrs ou place de la Tour (Al Bourj) -, de retrouver des vestiges, des repères, capables de me réconcilier avec le passé de mon pays. Debout à côté de la cathédrale dédiée à saint Georges - qui aurait terrassé le dragon à Beyrouth ! -, au pied d'une imposante mosquée surmontée de quatre minarets, je n'ai pas reconnu ce lieu mythique pourtant présent sur les cartes postales et dans tous les guides du Liban. Qu'est-elle devenue, cette place que la guerre - et les bulldozers de la reconstruction - a ravagée ? Rien. Rien n'a survécu : ni les cinémas, ni les cafés, ni le tramway, ni la foule bigarrée... Il ne reste plus qu'une vaste esplanade traversée par un boulevard et la carcasse du cinéma City Center, pareille à une baleine endormie. Le bâtiment de la préfecture de police qui abritait autrefois l'hôtel khédivial ? Disparu. Le monument aux Martyrs ? Déplacé. L'immeuble Rivoli ? Dynamité. A-t-on voulu, en transformant la configuration du site, brouiller les mémoires ? A-t-on voulu, en l'effaçant, faire table rase d'une époque ? Trop d'histoires, trop de souvenirs, trop de symboles liés à cet endroit : la place des Canons gênait. Un concours international a, paraît-il, été lancé pour trouver à la place une «nouvelle identité». Pourquoi changer son identité ?
Présentation de l'éditeur :
Mêlant la fiction et la réalité, les anecdotes et les hauts faits, le sort des petites gens et le destin des grands personnages, Alexandre Najjar brosse le portrait de sa ville et celui de sa famille sur trois générations.
Avocat et écrivain, responsable du supplément L'Orient littéraire, Alexandre Najjar est né au Liban en 1967. Passionné du XIXe siècle, il a à son actif plusieurs biographies (Le Censeur de Baudelaire), des romans (Phénicia, Berlin 36) et des récits (L'École de la guerre, Le Silence du ténor) traduits dans une douzaine de langues. Il a obtenu le Prix Méditerranée 2009 et le Prix Hervé Deluen de l'Académie française pour son action en faveur de la francophonie.
«Il y a dans ce livre ce qu'il faut de péripéties, d'histoires d'amour - et de guerres -, de rebondissements pour maintenir le suspense. Un roman-vérité.»
JOSYANE SAVIGNEAU, Le Monde des livres.
«Le livre idéal pour qui veut comprendre et revivre le destin de cette Suisse du Moyen-Orient...»
CHRISTOPHE ONO-DIT-BIOT, Le Point.
«Un roman foisonnant, une fresque émouvante qui ressuscite une ville.»
EDMONDE CHARLES-ROUX de l'Académie Goncourt.
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