Extrait :
Le vélo à tire-d'aile
Héroïsme, goût de l'exploit, passion pour le sport : j'avais tout cela en moi. Aucune raison d'hésiter, je me devais de construire un tel appareil. Ce prototype, plus exactement, allait me porter, me transporter. À onze ans, je ne doutais de rien ; j'étais épris d'aviation, et venais de recevoir un choc artistique hautement motivant, un film, sorti en 1965 : Ces merveilleux fous volants dans leurs drôles de machines. J'avais ri, m'étais enthousiasmé ; une telle aventure devait devenir mienne. Cette course organisée au début du XXe siècle m'avait ouvert un horizon : rien de mieux que de s'envoler pour le rejoindre. J'ignorais encore que ce désir deviendrait une partie intégrante de ma vie à l'âge adulte. Pour l'heure, ma jeunesse était impatiente, son sens de la bricole impossible à remettre en question. Si seulement il n'y avait pas cette histoire de gravitation, comme tout serait plus simple. Quoique... si elle n'existait pas, il n'y aurait aucun défi à relever ; on s'ennuierait ! Je m'étais documenté sur une de mes idoles : Santos-Dumont. Je savais tout de lui, comment ce Brésilien avait construit son avion et le bref vol, un saut à vrai dire, qu'il avait réalisé à Bagatelle le 13 septembre 1906 : après une course d'élan de cent cinquante mètres un bond de... dix mètres de long pour trois mètres de hauteur ! Une vraie première. Petit Toulousain, je connaissais l'histoire de l'Aéropostale de Montaudran, avais lu la vie de Mermoz par Joseph Kessel. J'étudiais les croquis, esquisses, dessins et photos de l'avion de Santos-Dumont. Il avait baptisé son engin le 14 bis, en souvenir du dirigeable qu'il avait piloté avant, le 14. Je baptisai le mien le 15. C'était un vélo. Déjà ce n'en était plus un : des ailes très en avant, pas d'empennage à l'arrière, et bien sûr des roues ! J'en avais repéré un quelques jours plus tôt dans un petit aéroclub ; je fis un point de fixation juste derrière le guidon et à l'avant de la selle. Enfin je commis un larcin chez ma grand-mère : un vol de fil de fer, pour accrocher solidement ma voilure (je l'entourai une dizaine de fois pour qu'elle soit impeccablement fixe). J'aurais volontiers conseillé à mon tour Santos-Dumont sur la réalisation d'un tel appareil mais j'étais préoccupé par quelque chose de plus important : le vent. Il consentit à se lever un matin, un vent d'autan, chaud et bienvenu. Nous passions alors nos vacances à la frontière du Gers et la Haute-Garonne ; les collines ne manquaient pas. Je choisis une descente bien pentue, sans arbres sur le côté en cas de décollage de travers. La course d'envol serait inévitablement longue, pareil l'atterrissage. Je contemplai un instant le paysage, plein des sensations à venir... d'un coup je pris mon élan en pédalant à toute vitesse, non pas «comme un malade» : ma préparation avait été d'une rigueur toute scientifique. Au bout de plusieurs mètres, je sentis la portance : mon coeur battit plus fort, puis, comme le reste de mon corps, rejoignit immédiatement le sol dans une chute inévitable. La roue avant avait décollé, la suite de l'engin absolument pas. Ce fut un vacarme de tôles pliées ; ma modeste personne se retrouva dans un fossé. Le vélo volant était plié en deux ; le conducteur gisait avec une dent de devant en moins ; le sang coulait de sa tête et de son front. Je revins en boitillant à la maison. Ma mère, épouvantée, m'emmena me faire recoudre au dispensaire. Il n'y eut pas d'acclamation ; Santos-Dumont était loin. Comme lui j'avais eu la foi : cela compte, non ? Peu de temps après, je connus mon baptême de l'air, planeur émerveillé au-dessus de ce plancher des vaches si difficile à quitter pour un jeune pilote de onze ans.
Présentation de l'éditeur :
«"Le monde est vaste", dit-on. Je ne pensais pas qu'il l'était autant. Cela me revient aujourd'hui, ma mémoire est traversée de mille et un instants, de lieux magiques, d'êtres exceptionnels. Enfant, j'avais déjà le désir de découvrir d'autres civilisations, d'autres cultures, de faire de ma vie un voyage. J'ai pu vivre ce rêve au-delà de ce que j'espérais. (...) Depuis, j'ai survolé des pays et des mers, vogué, marché, roulé. Ce sont ces moments que j'offre ici en partage. Pas de chronologie : les souvenirs reviennent mêlés les uns aux autres : ici un péché d'enfance, là une émotion lors d'un reportage... et, surtout, bien des sensations fortes !»
Entre ses débuts sur France Mer en 1979 et sa quotidienne sur Sud Radio, au fil de l'été 2014, Sylvain Augier a incarné deux émissions phares de France 3, Faut pas rêver et La Carte aux trésors. Arte, puis la chaîne Voyage lui ont elles aussi permis d'assouvir sa passion pour le ciel, la terre et les océans.
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