Extrait :
Avant-propos de Dominique Meens
Il n'était pas question pour moi, comme je l'ai vu faire, de publier un «lexique» d'oiseaux grecs, ou un «oiseaux grecs de a à z», reprenant tout uniment le Glossaire des oiseaux grecs de D'Arcy Wentworth Thompson, quitte à reconnaître ma dette à l'occasion d'une préface où j'aurais prétendu avoir beaucoup ajouté. Pour autant, il m'était impossible d'en publier une traduction nette de toute intervention : les conditions ont beaucoup changé depuis la dernière édition de ce glossaire, et mon intérêt pour cet ouvrage s'en trouvait déplacé.
Que ce livre ne me soit parvenu à la fin des années 80 que sous la forme d'une photocopie, que sa présence dans nos bibliothèques universitaires ait été à l'époque assez rare, est significatif de l'état de nos relations avec les textes grecs anciens. Qui ne sait que l'étude du latin et du grec a pratiquement disparu de nos lycées ? Rien n'a pu faire que le développement selon les uns ou la régression selon d'autres de notre civilisation pour d'autres uns encore ou de notre culture pour d'autres autres, a résolument écarté les humanités, comme cela était nommé, des bibliothèques. J'ai dû, par exemple, intervenir assez rudement pour qu'une bibliothèque municipale d'une ville de cent mille habitants rétablisse son rayonnage de livres latins et grecs à la vue de son «public» (c'est ainsi que se nomme désormais le lectorat). Si ces deux cents livres avaient été cachés dans la réserve de ladite bibliothèque, c'est que cette ville se trouvait en banlieue parisienne et «qu'il y avait suffisamment de bibliothèques universitaires dans la capitale». En voilà assez pour les conditions qui ne méritent pas à mon avis d'être détaillées plus.
Si mon intérêt pour la nature et particulièrement pour les oiseaux trouve assurément sa source dans mon enfance, j'y suis surtout revenu pour avoir décidé d'écrire quelques pages qui tiennent debout et aient quelque intérêt. Ce motif, qui liait tout aussi bien que d'autres le réel, le symbolique, et l'imaginaire, m'a soutenu de la première à la dernière page de l'Ornithologie du promeneur. Chemin faisant, départ effectué du «parti pris des choses compte tenu des mots» de Francis Ponge, force me fut de constater que l'oiseau n'était pas une chose ni ce qui me venait des mots. C'est d'évidence là que j'ai croisé le Glossaire de D'Arcy Wentworth Thompson. Les preuves que j'y trouvais me furent assez remuantes pour que je veuille les donner, ce qui, écrivant L'Aigle augmentée, me fut congrûment une épreuve. Je demeurais, sorti de là, convaincu qu'il faudrait un jour sortir le Glossaire de la réserve où il était excepté.
J'ai voulu, au pied du mur, l'ouvrage à la fois lisible en son long et consultable. C'est après tout une aventure pour un ornithologue amateur que d'être plongé dans la friture d'un savoir mille fois retourné depuis Aristote jusqu'à nos jours : je voulais montrer les décombres, le gravier remonté des sols, et ré-enfoui par les conditions dites plus haut. D'où la présence et le ton du promeneur et d'éventuels acolytes qui viennent déplacer le tempérament rigide du A à Z, ici bien sûr de l'alpha à l'oméga. Ainsi le lecteur pourra-t-il, s'il le souhaite, à petites étapes comme on faisait d'un livre de chevet, c'est-à-dire non pas à la très-grande-vitesse d'un roman qui vous transporterait, aller des découvertes de D'Arcy à ses regrets de ne pouvoir mieux dire, des confusions de son traducteur à ses hypothèses, avec des affects en sus car leur curiosité, à tous deux, n'est pas vaine. Consultable, il fallait que ce Glossaire le soit par qui aurait croisé aujourd'hui, mettons, un pivert, au cours d'une promenade, voire même sur l'écran domestique, et qui, par quelque hasard, s'intriguant de ce qu'on le dise «pivert», veuille en connaître plus de ce qu'on en disait. C'est pourquoi j'ai traduit les citations grecques et latines de D'Arcy. Les notes permettront à ce lecteur, de trouver aisément les textes originaux, de même que les études rédigées par les innombrables auteurs.
Cette «petite porte» que j'ai dite ailleurs, donnant sur l'univers des discours, pourrait et devrait être franchement détruite, élargie et grande ouverte, par des recherches comparatistes qui incluraient, comme je l'ai fait trop rarement, des résonances modernes ou contemporaines, et surtout les points de vue et partis pris d'autres cultures et civilisations, ce que je n'ai pu faire du tout.
Revue de presse :
LA LITTÉRATURE SAVANTE reste de la littérature. A ce titre capable d'ouvrir grandes les portes de l'imaginaire, parfois mieux que ne saurait le faire la fiction...
A quoi bon un tel savoir ? Mais parce qu'une cigogne n'est jamais seulement une cigogne, pas plus que le jabiru n'est jamais seulement un jabiru ; " il est dans une phrase, dans une liste qui fait phrase, il est couvert de phrases, il est couvert sous les phrases, qui vous le font voir, qui vous font le voir, et le voir lui, le jabiru, pour l'occasion jabiru. " Miracle du dévoilement par l'érudition. Voilà le parti pris commun de D'arcy Thompson et de Méens, leur point de rencontre, la branche sur laquelle ils nichent. Ils ont pris le parti de l'oiseau comme Perec celui des choses : " Qu'est-ce qu'un aigle ? Ce que nous en faisons. Qu'en faisons-nous ? Ce que nous en disons, ce que nous choisissons d'en dire, le sachant ou non. " Pas besoin d'être adhérent à l'aëlpéo pour comprendre ça. Ni pour prendre plaisir, on l'aura compris, à ouvrir ce réjouissant glossaire. (Julie Clarini - Le Monde du 31 janvier 2013)
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