Extrait :
WITTEMBERG OU LES ANGES DE LA NUIT
Si Dieu revient, nous ne sommes pas sûrs qu'il soit encore le même; il se peut que comme tout le monde il croisse et se développe. Et même s'il est devenu plus sévère, il doit pardonner aux agnostiques et à ceux qui le cherchent dans l'obscurité de ne pas l'avoir trouvé car il n'était pas là ou ne les a pas accueillis.
AUGUST STRINDBERG
«Nous nous trouvons à l'entrée d'une ère nouvelle où les esprits s'éveillent et c'est une joie de la vivre», écrit Strindberg dans Légendes, et c'est ce même cri que Michelet pouvait prêter à Luther en voyant en lui le magique porteur de flammes où la Renaissance découvrait sa passion et sa nécessité. Car la rencontre de Michelet et de Luther, c'est la rencontre de deux obsessions identiques : inventer dans la joie un Dieu nouveau qui, dans l'usure ou l'écroulement d'un monde fatigué, apporte à la terre une autre faim, une autre soif et d'autres nourritures pour répondre à cette faim et à cette soif.
Ce que le réformateur murmure au jeune Michelet, qui vient à peine d'entreprendre sa longue exploration du peuple français, c'est que la terre est le bien des hommes, un royaume de toute éternité façonné pour l'accomplissement d'une vie dont l'homme est la figure majeure. Mais cette vie a été souillée par un dieu usurpateur, cruel et injuste, et refaire la vie c'est refaire Dieu, fût-ce avec l'aide de Satan. Ce dialogue de Luther avec Satan fascine Michelet, et ce qui est en jeu dans ce dialogue c'est la souillure de la création et les chemins de sa nécessaire purification. Mais où sont les racines du mal ? Où se cache la nouvelle lumière ? À travers cette biographie de Luther, c'est la question que Michelet adresse à la Renaissance et, au-delà de la Renaissance, à l'histoire tout entière.
Avec la vie, apparaît la souillure. Le corps de l'homme comme celui de l'univers est un corps d'amour, et l'amour est ce long chemin où, de pourrissement en pourrissement, s'accomplissent de lumineuses métamorphoses. La créature naît dans l'eau et le sang, comme la plante surgit de la boue. Et depuis qu'elle émergea de la pure animalité, depuis qu'elle s'attacha à lire en elle-même les reflets de son angoisse et les promesses de son futur, l'humanité est confrontée à cette souillure originelle. Pactiser avec cette souillure, l'enfermer dans une architecture qui en élimine le poison, tel fut peut-être le sens de la religiosité primitive : cultes, règles et interdits dessinent les frontières d'un territoire où les vivants se sentent protégés de l'élément corrupteur qui érode la création. Ne pouvant regarder en face cette énergie destructrice qui, sans cesse, renvoie le jour à la nuit, la matière à la décomposition, la vie à la mort, notre espèce a tenté de substituer au désordre originel un ordre qui ne fût qu'à elle et où les hommes puissent avancer et s'accomplir en échappant pour une part au cauchemar de la pourriture.
Présentation de l'éditeur :
Mémoires de Luther
écrits par lui-même,
traduits et mis en ordre par Jules Michelet
Edition présentée et annotée par Claude Mettra
Luther écrivait de nombreuses lettres, et parlait beaucoup. Des disciples, à côté de lui, prenaient aussitôt en note ce qu'il disait, au jardin, à table, au coin du feu après le dîner. Voilà pourquoi Michelet peut écrire que les confessions de Luther sont «éparses, involontaires, et d'autant plus vraies». Avec la pénétration et la générosité qu'on lui connaît, Michelet a traduit et assemblé les moindres souvenirs, les moindres «pages de journal» échappés de la plume ou des lèvres de Luther. Il a composé ainsi une autobiographie à la fois rigoureuse et vivante, spontanée. Le Luther théologien, réformateur, insurgé contre le pape, sujet aux visions, combattant politique, apparaît alors dans toute sa fougue. Cela permet au lecteur de suivre avec passion, et comme s'il accompagnait réellement Luther, l'une des plus hautes aventures de l'esprit.
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