Extrait :
UNE VIE AVEC LES LIVRES
J'ai vécu dans les livres, pour les livres, par et avec les livres ; depuis un certain nombre d'années, j'ai la bonne fortune de pouvoir vivre grâce aux livres. Et ce fut à travers les livres que je pris pour la première fois conscience qu'il y avait d'autres mondes au-delà du mien, que je tentai d'imaginer comment ce serait d'être quelqu'un d'autre, que je découvris ce lien profondément intime qui s'établit quand la voix d'un écrivain entre dans la tête d'un lecteur. J'ai sans doute eu la chance que, pendant les dix premières années de ma vie, la télévision n'ait pas fait concurrence à la lecture ; et, quand elle arriva finalement chez nous, elle resta sous le strict contrôle de mes parents. Ils étaient tous deux enseignants, aussi le respect du livre et de son contenu était-il implicite. Nous n'allions pas à l'église, mais nous allions à la bibliothèque.
Mes grands-parents maternels étaient aussi enseignants. Grand-père avait les oeuvres complètes de Dickens achetées par correspondance, et la Nelson s Encyclopaedia en une trentaine de petits volumes rouges. Mes parents avaient des livres plus chics et plus variés, et devinrent, plus tard, membres de la Folio Society. J'ai grandi en supposant que tous les foyers contenaient des livres ; que c'était normal. Il était normal, aussi, qu'ils fussent prisés pour leur utilité : pour s'instruire à l'école, pour dispenser et vérifier des informations, et pour divertir pendant les heures et les jours de loisir. Mon père avait des recueils de ces opuscules pleins d'esprit, les «Fourth Leaders» du Times ; ma mère pouvait prendre plaisir à lire un roman de Nancy Mitford. Sur leurs étagères se trouvaient aussi les prix scolaires, des volumes reliés cuir, reçus par mon père au collège d'Ilkeston entre 1921 et 1925, le plus souvent pour «Aptitude générale» ou «Excellence générale» : le Florilège de la prose anglaise, les Œuvres poétiques de Goldsmith, le Dante de Cary, Le Dernier des barons d'Edward Bulwer-Lytton, Le Cloître et le foyer de Charles Reade.
Aucun de ces ouvrages ne passionnait le jeune garçon que j'étais. J'ai commencé à explorer les étagères à livres de mes parents (et celles de mes grands-parents, et de mon frère aîné) lorsqu'une conscience des choses du sexe est apparue. La bibliothèque de grand-papa contenait peu de lubricité hormis une scène ou deux dans Bhowani Junction de John Masters ; mes parents avaient The Outline of Art {Histoire de l'art) de William Orpen, qui comportait quelques illustrations intéressantes en noir et blanc ; mais mon frère possédait un exemplaire du Satyricon de Pétrone, qui était, de loin, le livre le plus «chaud» sur les rayonnages de la maison. Les Romains menaient assurément une vie plus dissipée et plus dissolue que celle dont j'étais témoin chez moi, à Northwood, Middlesex... Banquets, jolies esclaves, orgies, toutes sortes de choses. Je me demande si mon frère a remarqué, au bout de quelque temps, que certaines pages de son Satyricon se détachaient presque. Sottement, j'ai supposé que tous ses classiques de l'Antiquité avaient un semblable contenu érotique. J'ai passé plus d'une morne journée avec son Hésiode avant de conclure que ce n'était pas le cas.
Revue de presse :
Julian Barnes, au fil de cette anthologie, frappe par son érudition, son humour, sa fine élégance. Une passionnante réflexion sur les pouvoirs de la littérature. (Paloma Blanchet-Hidalgo - Le Monde du 29 janvier 2015)
Par la fenêtre, recueil de dix-huit chroniques parues dans des journaux et magazines anglais et américain, est un florilège passionnant de textes de l'écrivain sur son rapport à la littérature...
On l'aura compris à la lecture de ce recueil (où passent aussi les figures de Chamfort, Félix Fénéon et Michel Houellebecq), la grande passion de la vie de Barnes, c'est le livre imprimé. Une passion qu'il résume en quelques mots : «J'ai vécu dans les livres, pour les livres, par et avec les livres; depuis un certain nombre d'années, j'ai la bonne fortune de pouvoir vivre grâce aux livres.» Lisez Barnes ! (Bruno Corty - Le Figaro du 5 février 2015)
Les vagabondages littéraires de l'écrivain britannique offrent de belles surprises...
Le bonheur, avec Barnes, l'anecdote en permanence au bout de la plume, c'est qu'on ne s'ennuie jamais, même lorsqu'il nous parle d'auteurs moins connus telles Penelope Fitzgerald ou Lorrie Moore. C'est que Julian Barnes est un conteur-né, à l'érudition jamais pédante. (Marianne Payot - L'Express, février 2015)
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