Extrait :
PREMIERE LETTRE
Madame,
Je me mets à ma table pour vous donner une preuve indéniable que je considère vos désirs comme des ordres incontournables. Si choquante donc que puisse être la tâche, il me faut faire ressurgir pour vous ces épisodes scandaleux de ma vie, auxquels j'ai fini par mettre un terme afin de profiter de toutes les bénédictions que peuvent conférer l'amour, la santé et la fortune ; afin aussi, alors que je suis encore dans la fleur de l'âge et qu'il n'est pas trop tard pour employer les loisirs que m'accordent l'opulence et la richesse, d'approfondir, d'une façon qui ne saurait bien entendu être méprisable, un travail d'observation, qui s'était attaché, au milieu même du tourbillon de plaisirs dissolus dans lequel j'avais été jetée, à regarder les personnages et les moeurs de ce monde plus attentivement qu'il n'est d'usage chez celles qui exercent la même triste profession que la mienne et qui, considérant toute pensée ou toute réflexion comme leurs plus cruelles ennemies, les tiennent aussi éloignées d'elles que possible ou les écartent sans pitié.
Ayant une haine mortelle de toute préface longue et inutile, je vous en ferai grâce et ne vous présenterai d'autre excuse que celle destinée à vous préparer à découvrir la partie débauchée de ma vie décrite aussi librement que je l'ai vécue.
La vérité ! la vérité sans fard, toute nue, tel est mon propos ; et je ne me donnerai même pas la peine de la couvrir du moindre voile, aussi transparent soit-il. Je peindrai au contraire les situations telles qu'elles se sont produites en vérité, sans me préoccuper de violer ces lois de la décence qui ne furent jamais édictées pour régler des relations aussi librement intimes que les nôtres ; et vous avez trop de bon sens, vous connaissez trop les originaux eux-mêmes, pour regarder avec un dédain prude, et qui vous ressemblerait fort peu, les peintures que j'en fais.
(...)
Présentation de l'éditeur :
" Fanny Hill " c'est le livre de l'immoralité récompensée. Les lettres de Fanny Hill, malgré leur extrême libertinage, sont une suite d'estampes qui, comme les compositions de William Hogarth, brosse un parfait tableau des mœurs anglaises du XVIIIe siècle. La vie y est présente avec un accent de vérité incontestable. Le Londres de cette époque offrait à l'amateur de femmes toutes les ressources qu'il pouvait souhaiter : des plus crapuleuses tavernes aux plus somptueux " sérails ". Dans une préface aux " Mémoires de Fanny Hill " (édition de 1910), Guillaume Apollinaire déclare qu'elle est " la sueur anglaise de Manon Lescaut, mais moins malheureuse ". A la grande différence de Manon Lescaut on ne sent guère de complicité entre Cleland et son héroïne. En revanche, cette chronique minutieuse éclaire le siècle et ses amusements d'une lumière sans complaisance. Cette édition reprend la traduction d'Isidore Liseux, parue à Paris en 1887, et la seule complète.
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