Extrait :
L'appel
Des clercs réunis en concile, un pape nommé Urbain II résolu à inscrire son nom dans l'histoire, des laïcs venus de loin pour l'écouter. Nous sommes à la fin du mois de novembre 1095, à Clermont en Auvergne.
À quoi s'attendent donc ces hommes accourus de toutes les provinces pour recueillir la parole du Saint-Père ?
Quelques jours plus tôt, Urbain II est passé au Puy rendre visite à l'évêque Adhémar de Monteil, un évêque qu'il a entretenu des thèses qu'il comptait défendre au cours de ce concile capital. Car, aux yeux du pape de Rome, la chrétienté se porte mal. Ce n'est pas seulement l'Eglise et le clergé qui ont grand besoin de réformes. Celles-ci ont déjà été engagées par ses prédécesseurs, Nicolas II, Alexandre II et surtout Grégoire VII. C'est toute la chrétienté - religieuse et laïque - qui doit, sous peine de chaos, se ressaisir et vivre plus conformément à la morale évangélique.
Que se sont dit les deux hommes ? Sans doute ont-ils évoqué les grandes lignes de cette réforme. D'abord réaffirmer la primauté du spirituel sur le temporel. Délivrer l'Eglise de l'emprise des rois, empereurs et autres princes laïcs qui, en nommant et investissant les prélats, ont fini par limiter l'autorité de Rome et même compromettre sa crédibilité. Ensuite, nettoyer les écuries d'Augias : mettre fin aux hérésies et aux schismes déchirant l'Église, au concubinage des prêtres, purifier leurs moeurs et éradiquer les pratiques simoniaques. Surtout, Urbain II tient à réaffirmer sa prééminence sur toute espèce d'autorité royale ou impériale. Seul «vicaire du Christ» sur la terre, il est celui à qui tous doivent obéissance, religieux comme laïcs. Seul il peut nommer, déposer ou absoudre les évêques. Seul il peut être dit «universel». Son autorité est absolue et il ne peut être jugé par personne. Seule la conformité en tout point à l'Église de Rome - à son représentant comme à ses doctrines - pourra être jugée orthodoxe. Il est le successeur de saint Pierre, et donc du Christ. Tous doivent se plier à son autorité. Ici, la volonté théocratique d'Urbain II ne fait aucun doute.
C'est prendre le risque de heurter bien des susceptibilités. À commencer par celle des empereurs germaniques, avec lesquels la papauté est en conflit au sujet des fameuses investitures opérées par des princes laïcs sans l'aval de Rome. Mais la volonté d'Urbain II, suivant en cela celle de Grégoire VII, va encore plus loin. Il envisage à présent une mobilisation des forces armées de la chrétienté derrière l'Eglise. Comme l'écrit Jean Flori, son programme de «libération» n'est pas «limité à la seule lutte contre la corruption du clergé. Il a aussi en vue la libération des églises sous tutelle musulmane et des territoires jadis chrétiens qui ont été conquis par la force des armes, à commencer par l'Espagne». La lutte intérieure doit se prolonger par une lutte extérieure afin de rendre à Rome sa primauté sur tous les territoires gagnés à la parole du Christ.
A-t-il prononcé ce jour-là le nom de Jérusalem ?
Présentation de l'éditeur :
Tout commence par l'appel du pape Urbain Il, en 1095, convoquant la chrétienté à partir en croisade pour la reconquête des lieux saints. Que l'on n'imagine point que le pape ait uniquement Jérusalem en tête. Il sait l'Empire byzantin en lourde difficulté face aux offensives arabo-turques et espère, ainsi, en le soutenant, mettre fin au Grand Schisme qui divise le monde chrétien depuis 1054. C'est ce qui adviendra avec la croisade dévoyée de 1203 qui s'achève, à la grande joie du Vatican, par la prise et le pillage de Constantinople. Côté croisés, on jette un regard épouvanté sur le monde musulman, totalement diabolisé depuis la conquête de l'Espagne et la bataille de Poitiers. Les Byzantins toisent l'Occident avec mépris, le considérant comme barbare. Enfin, les musulmans arabes, éclatés entre Khalifats, entre sunnites et chiites, et où les Fatimides égyptiens commencent à s'imposer, sont très ignorants de ces chevaliers qu'ils vont combattre. Très vite, ils considéreront les croisés comme des sauvages, surtout après la prise extraordinairement et inutilement sanglante de Jérusalem. Puis, la création des ordres Templier et Hospitalier va modifier les données. Avec Saladin, et les croisades royales (LouisVII, Conrad III, Philippe Auguste, Richard Coeur de Lion, Frédéric Barberousse, Frédéric II de Hohenstauffen), un certain respect réciproque s'établit qui n'empêche pas que l'on s'étripe avec une extrême violence. A partir de la défaite des croisés au Hattin, en 1187, un siècle après la création des quatre royaumes latins d'Orient, le reflux croisé débute. L'aventure s'achève en 1291, avec la chute de Saint-Jean d'Acre. Les croisades africaines de saint Louis ne sont pas oubliées, pas plus que l'action de l'ordre teutonique à l'est de l'Europe ou la dernière croisade, celle, purement nationale, des Albigeois qui met fin à l'hérésie cathare avec une brutalité inouïe. Mais l'originalité de l'ouvrage, outre qu'il décrit, par le menu, les causes des croisades, le déroulement de chacune d'entre elles, la vie des différents ordres de chevalerie, repose sur ce regard " croisé " qui amène le lecteur à se trouver, successivement, chez chacun des trois grands protagonistes, les chevaliers francs, les musulmans d'Orient, et les Byzantins, et à considérer les croisades de ces trois points de vue. Une démarche qui permet de revisiter leur histoire de façon originale.
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